Paris est devenu un vaste supermarché de loisirs et de marchandises réservés aux touristes, aux classes moyennes et à la bourgeoisie aisée. Dans les rues et les couloirs du métro, la police, les CRS, l’armée et les milices de la RATP entretiennent le mythe de la capitale assiégée. Les gardiens de l’ordre républikkkain y contrôlent sans relâche de jeunes Indiens, Noirs ou Arabes sous les regards saturés de la foule. Face à l’oppression de la marchandise et la répression policière, le rock et les musiques électroniques ne sont plus que la bande sonore désabusée du spectacle de la décomposition sociale. Ailleurs, dans les banlieues taudis de la Ve république, le bruit des machines fédère la révolte d’une génération invisible qui se bat contre le gaspillage programmé de sa jeunesse. Demain, c’est maintenant, le premier album des Futuristiq, est une nouvelle pierre dans l’édifice du rap français, une pierre taillée dans l’énergie brute de la rue. La beauté sauvage du rap français émerveillera encore dans trente ans, lorsque l’histoire aura apprivoisé la rage sonore des jungles modernes. Le Concrete jungle des Wailers fournit d’ailleurs un sample obsédant au magnifique instrumental de Je suis celui : « Tu veux savoir qui je suis ? Je suis juste celui qui avance en cadence avec les battements de son cœur… » Présentation des Futuristiq.

Demain, c’est maintenant est dominé par le flow nerveux et précis de Nubi et Qrono, les deux MC’s des Futuristiq. Les nouvelles recrues du Secteur Ä enclenchent leur rap sur des instrumentaux calibrés 100 % « scarlattitude ». En invités, Joey Starr puis Jacky des Neg’marrons ouvrent et clôturent respectivement l’album. Pas besoin de featurings à chaque coin de rime, Nubi et Qrono occupent les pistes avec une intensité impressionnante. Comme nous, Kenzy a été conquis par leurs rimes authentiques, mêlant la fraternité old-school à l’urgence de la révolte actuelle. Ces 15 titres incisifs, dévoués au culte du hip-hop, enchaînent ego trip, insoumission, négritude (« je suis trop noir, trop fort, trop hard, trop core »), plans drague antillais, dénonciation du racisme (« Tous mes frères sont parqués, piétinés par les tuniques bleues/Il faut que ça s’arrête »), dieu et chant funèbre en l’honneur de potes assassinés (Cyril et Roland). « Stylés comme une Mercedes K » (Intestable), les textes coulent comme du rhum dans la gorge. Trips cinématographiques (Lascars de Luxe, Hommes de terrain) ou brûlots hardcore (Calibre 32, Réalité, Prohibition), les Futuristiq occupent le terrain sans faire de concessions. On rêve d’un featuring de Raoul Vaneigem, cru 1967 : « Le primat de la vie sur la survie est le mouvement qui défera l’histoire. » Les renégats font de beaux disques, le mouvement est en marche.