On n’avait pas vu groupe aussi authentiquement faux et sainement tordu depuis Ween : présentés comme un duo de comiques néo-zélandais responsable d’un des sitcoms les plus drôles de ces dernières années, Bret McKenzie and Jemaine Clement sont en fait de Willington. Sans doute volontairement post-modernes, usant et abusant des médias, les Flights Of The Conchords ont tout à fait brouillé la distinction entre fantaisie et réalité. Ainsi, ce « vrai » groupe porte le nom de leur série TV sur HBO (dont on retrouve de larges extraits sur le Net, via des sites de fans maniaques, dispersés ici et là) qui raconte l’histoire de deux néo-zélandais venus tenter leur chance dans la musique en allant à l’assaut de la Grande Pomme. Voyez la mise en abîme ! Bien entendu, dans la série, arrivés là-bas, ils se mettent en quête d’un manager qui s’avérera être rien de moins que le consul de leur pays… et habiteront dans l’appartement mitoyen de Mel, leur unique groupie – mais nymphomane – : on est là pour rire avant tout.

Le disque n’est pas strictement sur le même mode. Pourtant, faux kiwis mais pasticheurs avertis, les Flights Of The Conchords ont réuni une partie des titres qu’ils ont pu interpréter live ou au cours de shows TV mais avec l’apport luxuriant du studio pour rendre la collection de titres le plus efficace possible, dans leur armure de pop-songs manufacturées. Accessoirement, cela permettra d’entendre leurs titres autrement qu’avec le son approximatif des repiquages que l’on trouvait jusqu’ici sur le net. Et puis, le passage en studio donne une patine différente aux titres, qui s’approchent ainsi de l’excellence d’autres groupes plus ou moins de la même catégorie, que l’on parle des pervers polymorphes Ween, ou des Rutles, groupe parodique « à la Beatles » de Neil Innes (ex-Bonzo Dog Band) et d’Eric Idle (des Monty Python), plus vrai que nature.

Leur précédent EP avait décroché un Grammy award (The Distant future EP avec l’irrésistible Business time qui retranscrit l’intimité d’un couple en parfait décalage : la femme épuisée par le boulot qui guette la moindre occasion pour s’écrouler dans le lit et l’homme, mythomane de sa libido comme de celle de sa douce, interprétant chaque signe comme une preuve masquée d’envie de partie de sexe effrénée. Une version Tex Avery meets Peter Sellers de Barry White, si cela vous évoque quelque chose. Car, mieux qu’un produit dérivé,on peut tout à fait rentrer dans la secte Flight Of The Conchords par cet album, en ignorant tout de leur parcours télévisé et en laissant libre cours à un goût pour l’excentricité musicale. De ce côté-ci de l’Atlantique, on jubilera à l’écoute de Foux de fafa, une bossa nova absurde – et en « français » – déclinant son lot de clichés sur l’art de vivre à la française (on comprend que, vu des USA, les français se demandent toujours « Où est la bibliothèque ? » pendant que fusent des « baguette », camembert » et autres « Gérard Depardieu » envoyés d’une voix à la tessiture virile de french lover !) qui ne peut laisser de marbre. Habiles comme les frères Ween, les Flights Of The Conchords vous restitueront sans peine des monstres sacrés comme les Pet Shop Boys (sur Inner city pressure, décalque bluffant du fameux West end girls des deux orfèvres pop) ou Bowie sur Bowie (!) un des titres les plus épiques de l’album, où le Thin White Duke est malmené comme un roi tombé du trône après avoir abusé de la Vittel ! On ne vous fera pas la visite guidée intégrale de l’album, vous laissant le soin et le plaisir de le faire par vous-même mais sachez que vous pourrez y croiser, quitte à ce que ce soit en version génétiquement modifiée, les traces de Marvin Gaye, Prince ou Shaggy.

Flights Of The Conchords suit paradoxalement un parcours inversé à celui de Spinal Tap : si le succès du film Spinal tap a conduit les protagonistes de ce docu-fiction à monter un groupe pour assouvir le fantasme des fans générés par le film, Flights Of The Conchords est un groupe qui aura existé avant que d’être transformé en série, sur le mode de la réalité réinventée de toute pièce… Ce n’est pas Chronic’art, qui glosait il y a peu sur le glissement contemporain et pernicieux du « vrai » vers le « vraisemblable » ? Nouvelle pièce à charge !