Le souvenir du cri silencieux surgi des gorges des deux pop-makers suédois The Knife, dont personne n’avait jamais attendu grand-chose, hante encore nos mémoires trois ans après alors que rien ne les disposait à propager une peste musicale aussi noire. Une voix étranglée, une ligne de basse infectieuse, un hit – Heartbeats, un des plus beaux clips de l’histoire de la pop aussi (des images suspendues de long-boards filant à toute allure le long de rues désertes, mille fois plus beau que la publicité pour les couleurs de la Sony Bravia avec l’andive José Gonzalez en fond sonore – cf. la vidéo) -, mais c’était vraiment tout. Puis ils jetèrent leurs incantations au pied d’un mur du son techno, sortilège qui peu à peu envahit les esprits et fila les jetons à tout le monde. C’était en 2006 et on avait jugé l’événement trop sporadique, les sorciers Olof et Karin Dreijer (lire notre interview) s’étant séparé après le Silent shout tour l’année suivante. Du coup, on imaginait la fièvre retombée : erreur, Fever Ray couvait en silence, mûrissait son incubation avant de revenir nous occuper totalement l’esprit.

De ce projet solo de Karin Dreijer Andersson, on s’effraie d’abord des premiers syndromes (cette pochette désolée de Charles Burns et les corps inanimés du clip de If I had a heart – cf. la vidéo) pour leurs atours macabres et théâtraux. Toutefois, on sait notre perception embrumée et – c’est presque une première dans la musique de Karin – on distingue une lumière derrière ses visions fébriles et illuminées : ces courants baléariques tout nouveaux, qui adoucissent le froid des synthétiseurs et vocalises déplacées dans les graves, comme une végétation allaitant enfin les paysages déserts et nocturnes de The Knife. When I grow up, (cf. la vidéo) c’est en ce sens le premier rayon de soleil qu’on observe depuis l’album Deep cuts, et son spectacle est merveilleux : les couleurs occupent tout l’horizon, des chants de baleine et picks de guitare surfent un rythme hip-hop, et les claviers océaniques s’expriment à gorge déployée. De même, Dry and dusty multiplie les plaintes douloureuses et animales (ces voix meurtries par les torsions de pitch auxquelles Karin nous avait déjà habitué sur Silent shout) sur des nappes de synthèse aux allures d’aurore boréale. Ailleurs, des polyrythmies africaines s’invitent dans le Miami de Jan Hammer (Seven, Triangle walks), Karin Dreijer accouche des plus saisissantes lignes de chant depuis Forest families (Concrete walls), et tout du long, qu’elle s’agite et hurle (I’m not done) ou nous plonge dans un sommeil profond (Coconut), sa lueur fébrile étourdit les sens et éblouit complètement.