Dès 1946, à Darmstadt, ils étaient trois : Luciano Berio, Bruno Maderna, Luigi Nono. Trois Italiens qui ont pensé la musique d’aujourd’hui, en compagnie, entre autres, de Pierre Boulez, Karlheinz Stockhausen et Maurizio Kagel. Ils sont tous nés entre 1920 (Maderna, mort le plus jeune) et 1931 (Kagel, le plus provocateur peut-être). Franco Donatoni est né en 1927. Certes, il n’a pas réellement participé aux cours d’été organisés par le Kranischer Institut. Néanmoins, comment ne pas l’assimiler à cette génération ? Si Boulez & Cie ont contribué à repenser l’écriture, la forme autant que le statut de l’œuvre musicale, dès le lendemain de la guerre, Donatoni a mis du temps à se trouver. En 1959, la découverte de John Cage le trouble plus qu’aucun autre compositeur. 1966 fut pour lui une année de silence, tandis qu’en 1975 il détruisait une partie de ses œuvres. Le motif du doute parcourt en quelque sorte son expérience créatrice. Il s’est longtemps acharné à la dévaluer, adoptant une démarche qu’il définit lui-même de négativiste. La mort de Maderna, en 1973, a agi comme un électrochoc, le forçant à retrouver le plaisir d’écrire.

Duo pour Bruno date de cette époque. L’œuvre, dédiée à son ami disparu, repose sur une citation mélodique d’une chanson vénitienne, que Maderna avait utilisée dans son Venetian journal. A partir de celle-ci, il développe un principe binaire de composition. L’instrumentation en est elle-même tributaire : deux percussionnistes sont disposés de part et d’autre de la scène, de même que deux violons, deux pianos, deux harpes, et un célesta fait face à un vibraphone. La structure complexe n’en est pas moins systématique : dix sections, chacune comportant 27 mesures clairement divisées en deux. Cet art indéniablement scientifique et intellectuel n’en demeure pas moins fascinant et envoûtant. « Cacher l’art par l’art », voilà ce que Franco Donatoni nous fait toucher tout simplement. Par comparaison, Portrait semble beaucoup plus calme, comme un concerto pour clavecin. Néanmoins, Poulenc et son Concert champêtre sont bien loin. Aucun hommage ici aux beaux XVIIe et XVIIIe siècles. Si Ligeti a aussi composé pour clavecin, Donatoni traite l’instrument d’une façon totalement nouvelle. De même, In Cauda, espèce de requiem laïc, n’a rien à voir avec le passé. En trois parties, denses et sévères, cette composition requiert un ensemble instrumental et vocal impressionnant. Les expériences de Berio sur le mot sont clairement convoquées. Celui-ci ne fait pas sens mais provoque la musique, agit comme un matériau musical, illustrant ces propos : « Composer signifie pour moi inventer le processus nécessaire à la transformation continue de la matière. » Au jeu des comparaisons, on pense inévitablement à la Symphonie des psaumes de Stravinsky ou aux grands ensembles vocaux de Maurice Ohana. Sombre et âpre, l’œuvre se replie progressivement, s’achevant sur un adagio magnifique de couleurs et de profondeurs, faisant oublier toute filiation.

Tamayo s’est déjà largement illustré dans le répertoire contemporain, notamment dans sa défense infatigable de Ohana justement. Que ce soit à la tête de la formation allemande ou française, il parvient à sertir les œuvres de pierres vulgaires et précieuses. Il n’y a pourtant aucun hermétisme, comme si cette musique sonnait l’évidence. Enregistré lors de deux concerts, le disque rend justement l’instantanéité du geste créatif et interprétatif, laissant croire en cela à une familiarité confondante. Bref, il s’agit peut-être d’un des plus beaux enregistrements consacrés au quatrième des mousquetaires italiens.