Pourquoi trois « z » ? Parce que deux « jazz », vous répondra Emmanuel Bex à propos de ce double album (le huitième sous son nom) dans lequel sont symétriquement explorées les facettes acoustique et électrique d’une musique qu’il fréquente passionnément depuis la découverte du Relaxin de Miles Davis et ses premières armes dans la compagnie Lubat. Côté pile, donc, Bex plugged et son orgue Hammond, accompagné sur les chemins d’un jazz rockeux et salissant par le batteur Aldo Romano (l’un de ses partenaires privilégiés, déjà présent sur 3 en 1998 et pilier d’un trio que complète Philip Catherine) et le renversant guitariste Michael Felberbaum ; côté face, Bex intime, un Bösendorfer en lieu et place de l’orgue et la contrebasse de Jean-Philippe Viret pour épauler Romano, trait d’union des deux galettes. Entre l’une et l’autre, un abîme (qu’on peut décider de franchir ou pas en écoutant les disques successivement ou en les séparant prudemment) et une composition commune, New mood, interprétée avec les deux groupes.

Le versant acoustique, d’une totale sobriété, laisse affleurer des tentations classiques qu’expliquent les brillants antécédents d’Emmanuel Bex (père pianiste et mère professeur de solfège, jeunesse passée dans les conservatoires, pratique assidue du piano et du basson, prix à foison, études d’écriture, on en passe) ; sa science consommée exprime une poésie séduisante mais aussi une sagesse que l’on sera tenté de bousculer un peu avec le versant électrique, résolument ancré dans une tradition dont le Lifetime de Tony Williams serait le héraut. Sans être réductrice, la comparaison se justifie par un jeu d’orgue qui ne peut pas ne pas faire songer aux coups d’éclats du génial Larry Young, et par une guitare saturée dont les accents rock mcLaughliniens se mêlent à un vocabulaire bop du meilleur tonneau. Ombre et lumière, nuit et jour, lune et soleil : les métaphores ne manquent pas pour caractériser la double personnalité du redoutable Emmanuel Bex, Jekyll & Hyde à l’univers duquel ce Jazz[z] biface est la meilleure des introductions.