Tout à la fois ancien et nouveau membre du groupe -presque- culte Palo Alto, Denis Frajerman a su en quelques albums forger un univers sonique brillant et personnel. Edité sur le label Noise Museum qui consacre la majeure partie de son temps aux bidouilleurs électroniques les plus en vogue, Frajerman détonne dans ce paysage plutôt morose du tout electronica. Tout d’abord, il faut l’avouer au risque de décevoir certains, sa musique instrumentale est résolument et délibérément organique. Alors que l’on cède à la mode du tout électronique, Frajerman persiste dans son utilisation anti-techno-prolo du rot passé en boucle, des bandes magnétiques comme à la maison diffusant des bruits de doryphores, d’une symphonie technoïde de trayeuses de vaches et de la présence affirmée d’un combo quasi pop (hum), basse & échantillonnages (le maître), guitare, batterie, voix (ses élèves). Et pourtant, bien loin de toute mélodie niaise, la musique qui se développe est schizoïdement originale, brillante, éthérée et orgasmique. De longues montées de puissance, servies par une interprétation hors pair et distanciée pour un résultat d’ensemble qui confine aux musiques nouvelles (Univers Zéro, Art Zoyd), au néoclassique (Wyman, JP Goude) et au dépouillement pataphysique (Bastien, Comelade).
C’est évident maintenant, des créateurs musicaux comme Frajerman ne se trouvent pas à tous les coins de rue et si un label électronique ose sortir de tels disques de troisième espèce il faut espérer que le public suive. Car de difficulté il n’est pas ici question. Après un aride deuxième album (Fasmes) qui tranchait avec le post-exotisme délirant du génialissime premier opus (Les Suites Volodine, en référence à son ami écrivain), ce troisième opus fait de deux longues suites érotico-exotiques se place dans un effort d’ouverture de charme, de la part d’un musicien qui peut verser en concert dans la méchanceté musicale la plus gratuite et la plus pure, la preuve en est son ouverture furieuse du dernier festival Noise Museum en été avec un set d’une heure où s’entrechoquaient soli de pianos stravinskiens, ambiances dilettantes et jeux de mots musicaux décalés. Preuve de l’extrême ouverture musicale de cet album, Nana Mouskouri, de retour de tournée mondiale, a déclenché son orgasmachine dès les premières notes ; après on viendra me dire que la musique est dure à apprécier après une journée d’usine. N’importe quoi.