On pourra se dire que ces foutues listes de fin d’année servent au moins à ça : quand les journalistes chroniqueurs, cette sous-race avérée qui ne connaît rien ni des plaisirs de la nuit, ni de la sincérité totale qui animent toutes les autres créatures qui foulent le sable de la planète (j’en place une pour tous les zombies bien pensants, donneurs de leçons, des forums Internet, et à leur bonne foi immaculée), sortent de leur petit chapeau en feutre ces petits bijoux d’énergie puriste à côté desquels ils étaient passés, les oreilles épuisées de la dernière merde tapageuse surmarketée (et donc enjeu intéressant pour la régie pub du mag, c’est un échange de bons procédés) de la pile « à chroniquer impérativement ». A côté desquels nous autres, pas moins méprisables, pas moins malhonnêtes, nous étions passés pour les mêmes raisons. La mention innatendue, quasi ex-nihilo de The Coldest season, tout gris, humble et obsessionnel a donc certainement sauté à la gueule de pas mal de lecteurs nerds indécis et déçus des lectures compulsives de listes de célébration pour le reste bien trop proches des leurs propres (éminemment originales et vierges de toute influence-perfusion, il va sans dire). D’un mag prescripteur (The Wire) au summum incarné de la techno credibility (Resident Advisor) en passant par quelque blog super avisé (Test Industries), on pouvait difficilement encore passer à côté, il faut dire.

Mais pourquoi on n’en a pas entendu parler plus tôt ? D’abord, il y avait la dénomination compliquée des artistes en lice : Deepchord presents Echospace. C’est qui ? C’est quoi ? Deux artistes ? L’un qui présente l’autre ? Deepchord, ça disait vaguement quelque chose : une petite référence de minimal techno dubby pertinente parce que plantée à Chicago, pompée direct et sans-titre sur le meilleur du meilleur taillé Basic Channel et Chain Reaction par Maurizio soi-même, les instrumentaux de Rythm&Sound, Vainqueur ou les premiers ébats de Monolake. Echospace, en revanche, sort ex-nihilo de l’anonymat de son nom propre programmatique. On explique donc : Dans Deepchord presents Echospace il y a bien Deepchord (alias Rob Modell), mais il y aussi Stephen Hitchell (que de double l), connu autrement sous le nom de Soultek (qui n’apparaît nul part sur la pochette, donc), et ensemble, ils font Echospace (qui visiblement n’est pas le nom du groupe, mais juste celui du projet, ah là là les nerds). Et que font ils ensemble, les deux nerds ? Eh ben ils font du Maurizio. Mais attention : contrairement à 98% de ceux qui se complaisent mollement dans le sillon baveux du maître berlinois, Deepchord et Soultek le font bien, bien, très bien. Et ils le font uniquement avec du matos analogique vintage, s’il vous plaît, on est entre gars crédibles (ils en font même la liste sur la bio : « Roland Space Echo, Echoplex, Delay à bande Korg, processeurs de signal vintage, générateurs de bruits, samplers 8-bit Sequencial Circuits et divers synthétiseurs analogiques » – eh mais on veut les marques des synthés aussi !). Ah oui, il y aussi des « captures d’activités paranormales », pour épaissir le mystère. Quoi d’autre à entendre ? Ben rien, absolument rien, c’est ça le truc.

Parce qu’on a beau le retourner dans tous les sens de la mauvaise foi, The Coldest seasonest un disque d’une fabuleuse monotonie, et en cette époque musicale un peu maudite et très fatigante, c’est visiblement ce que les prescripteurs, mais aussi vous, moi, tout le monde recherchent avidement. Magnifique, classicismique proposition ambient, le disque déroule la même rengaine dub à souffle tout le long de sa belle séquence enchaînée, l’habillant selon les envies de douces vagues de bruit blanc en dérivations filtrées, délayées et de petites pulsations binaires opérant leur roulis programmatique dans le bas du spectre, se paumant même à l’occasion dans un mirifique trou d’air où rien, rien, rien ne se passe du tout (le bien nommé Ocean of emptiness, point d’interrogation céleste du disque). Emergeant insidieusement, obséquieusement, d’un vide sémantique intégral de textures divines et de pure délectation connoisseuse, les tracks anonymes de ce délectable disque s’installent idéalement dans le creux de l’oreille et de l’habitat, en pure jouissance minimale, ambient old-school, bête à manger du foin. Il n’y a donc rien à dire de cette musique distante, habile, étrangement aimable, à part qu’elle est foncièrement, radicalement agréable. Qu’elle se pose là, en incarnation terminale de bonheur de musique comme plaisir sensoriel. C’est horrible à écrire, je vous jure. Mais ce disque est une foutue merveille d’easy listening, et le plus bel orgasme électronique que j’ai tressailli en 2007.