Il serait facile de faire passer J. Mascis pour un sympathique ahuri, ne lire dans ses silences qu’un temps désespérément long pour accoucher d’une réponse laconique. Facile mais inexact autant qu’injuste, quand le sujet est un auteur important et un personnage attachant -certes malaisé à interviewer, mais derrière notre inopérante maïeutique surgissent parfois des aphorismes en fulgurance, curieux et un peu tristes. Ce qu’il est impossible de retranscrire ici, et qui fait le cœur de ce que l’homme a à communiquer -en plus de sa musique à travers laquelle il existe pleinement- ce sont ses rires, ses soupirs… et ce marmonnement qui le caractérise, le rendant si proche de Blake, le pseudo-Cobain du Last Days de Gus Van Sant. Trouée de silence, la voix d’un sphinx. Malgré une connexion téléphonique lo-fi venant complexifier encore l’exercice (le fil ténu de la conversation sera coupé trois fois), tentons la rencontre…

Vous aviez dit (dans un entretien donné en 2011 à Vice, NDLR) que les disques bruyants étaient plus fun à réaliser et que votre premier LP, Several Shades of Why était un exercice de modération. Pourquoi avoir voulu revenir à l’exercice ?

Je n’y réfléchis pas tant que ça, de toutes façons. J’avais le temps de faire cet album et le label Sub Pop… voulait un nouveau disque, alors je l’ai fait. Mais je n’y pense pas plus que ça. Oui, les limitations m’ont servi à en faire un album plus simple.

Vous avez dû vous brider ?

Oui. Ce sont les chansons… Parfois elles sont destinées à faire du bruit… et parfois je dois faire avec les limites qu’elles imposent. Je dois faire le chemin jusqu’à la chanson exacte.

Le processus d’écriture diffère-t-il alors de votre travail pour Dinosaur Jr ?

Pas le processus en fait: j’ai toujours en tête ce que je veux pour l’album… Alors parfois une chanson arrive et je me dis « ne l’utilise pas maintenant, garde-la pour une autre fois ».

Tied to a Star est tout de même un peu plus électrique que le précédent

Il a surtout quelques drums que Several Shades of Why n’avait pas… Ouais, je suis toujours à vouloir mettre des drums et des guitares électriques partout. Parfois il s’avère que c’est ce dont la chanson a besoin… et c’est ce que je préfère.

Il y a aussi beaucoup de détails discrets mais terriblement efficaces, comme l’orgue qui apparaît sur Wide Awake -une chanson qui est un petit chef-d’œuvre, vous en avez peut-être conscience

Ha ha ha ! Je ne sais pas vraiment si c’est si réussi, ça c’est à vous de le dire… mais, ouais, toutes ces petites choses à entendre, eh bien… ça fait une chanson !

Comment en êtes-vous venu à collaborer avec Chan Marshall pour ce morceau ?

Je lui ai simplement envoyé un SMS. Puis la chanson. Et le résultat a fait son chemin jusqu’à l’album… Vous savez, j’ai juste pensé que sa voix serait parfaite pour cette chanson.

L’équipe est plus réduite et très différente sur cet album.

Oui… là, c’est une sorte de blackout total car un seul musicien est resté d’un disque à l’autre. J’avais l’envie de travailler avec d’autres musiciens… des musiciens plus locaux, surtout. A part Chan, c’est exactement ce que j’ai fait sur cet album. Et Mark (Mulcahy, NDLR). Mark et Chan n’habitaient pas juste à côté. Les autres si. Et puis, je n’avais vraiment pas l’impression d’avoir besoin de beaucoup de monde sur Tied to a Star.

En revanche, confier le mix à John Agnello, c’est toujours une évidence ?

J’ai tellement travaillé avec lui qu’il y a plein de choses que je n’ai pas à lui dire. Du coup on démarre le mix sur les meilleures bases possibles, sans discussion. Et il comprend facilement ce que je veux. Avec quelqu’un d’autre, ça ne pourrait qu’être plus difficile, alors…

C’est mieux pour vous, de ne pas avoir à dire grand chose ?

Ouais, je suis… Je ne suis pas très « travail de longue haleine ». Je veux que ce soit fait rapidement, droit vers ce que je veux, sans détours, angoisses ou sur-conceptualisation… Plus c’est rapide, plus je suis heureux.

Vos disques en solo auraient-ils existé si Dinosaur Jr ne s’était pas reformé ?

Je ne sais pas… Peut-être que oui, parce que je travaillais sur le premier avant qu’on se retrouve. Mais nos retrouvailles ont nécessairement influencé ce que je faisais de mon côté. Je pense -je suis sûr- que mon travail solo est devenu encore plus acoustique qu’il aurait été sans le retour de Dinosaur Jr.

Savez-vous ce que vos acolytes de Dinosaur Jr ont pensé de ce nouvel album, sont-ils d’ailleurs votre premier public ?

Murph aime toujours tout ce que je fais ! En ce qui concerne Lou, well, j’en sais rien… Murph, c’est mon premier public… mais Lou je ne sais jamais ce qu’il pense.

L’auditoire idéal pour vos chansons, est-ce un public qui a grandi en écoutant les premiers Dinosaur Jr ?

Ah oui. Oui mais… bon, ça peut être n’importe qui, venu de n’importe où.

Vous intéressez-vous à la manière dont le public accède à la musique aujourd’hui ?

Oh, oui. Et je trouve que c’est déprimant… Le son de ces MP3, tout ça… Mais ce n’est pas un truc que tu peux changer, alors je ne peux pas me dire… angoissé par ça. Enfin, à cause de ce son-là, je pense que la musique n’atteint plus les gens autant qu’avant. Elle n’a pas tant d’effet sur les nouvelles générations, à mon avis.

Cela a-t-il des conséquences sur votre écriture, sur votre jeu ?

Je continue de faire ce que je fais. Et puis je pense que la musique live est là pour aider les gens à  comprendre. Voilà, je ne suis pas si effrayé que ça car il y a toujours de gens qui aiment le live. La musique enregistrée… elle sonne tellement pire… et tellement moins accessible.

Raisonnez-vous en termes de chanson ou d’album ?

J’aime les albums. Mais, OK, un album n’est qu’une collection de chansons… alors faisons une chose à la fois. N’empêche… je n’aime pas le format EP : je pense… pour moi les chansons sont destinées à figurer sur un album.

Êtes-vous impliqué dans lartwork de vos disques, où domine de plus en plus une sorte de fantastique triste ?

Bien sûr, je suis impliqué. Ouais. Mais ce n’est pas si compliqué… C’est plutôt: je regarde le truc et je dis si j’aime ou pas. Je ne suis pas un grand critique d’art, je me contente de suivre mon goût. En général je donne mon verdict, sans avoir donné trop d’instructions en amont.

Existe-t-il un lien conscient entre votre travail artistique et votre attachement à l’hindouisme ?

C’est surtout que j’adore Amma (Mata Amritanandamayi, dite Ammachi, religieuse hindouiste,  pour laquelle Mascis a enregistré le LP J and Friends Sing and Chant for Amma, NDLR)… Je ne suis pas tant que ça versé dans l’hindouisme. Mais je suis persuadé que cette spiritualité affecte ma musique, même si je ne suis pas sûr de savoir en quoi… Oui, je sens un lien entre spiritualité et rock’n’roll. C’est une question de… la fin de cette phrase est, hélas, happée à tout jamais dans les limbes d’une connexion hasardeuse, et J. ne reviendra pas sur le sujet.

Le jeu de guitare est un peu une autre religion pour vous, non ?

Non. Ah, ah, ah, non ! J’aimerais bien, mais alors je ne jouerais plus beaucoup.

Reste que vous êtes un peu un gourou de la guitare pour certains, comme Neil Young a pu l’être pour vous. Ca vous plaît ?

Oui, je suis fier de ça.

Continuez-vous à construire vos morceaux autour des solos de guitare, même lorsqu’il y en a moins ?

J’aime les solos.

Drifter devait-elle être un instrumental dès le départ ?

Non mais j’aimais déjà la façon dont elle sonnait avant d’ajouter une ligne de chant, alors je l’ai laissée comme ça… Mais sinon je n’aime pas tant que ça la musique instrumentale.

La musique des années 1990 constitue désormais une forme « classique » en elle-même. La considérez-vous comme telle en composant aujourd’hui ?

Ça a toujours été comme ça : j’ai toujours travaillé sur des formes classiques et aimé regarder en arrière. Même aujourd’hui je pense toujours aux 60s et aux 70s en termes classiques -comme quelque chose à partir de quoi je peux travailler. Je ne suis pas sûr que les 90s seront un jour ce que les 60s ont été aux 90s… En tout cas pas pour moi. Mais peut-être pour MTV.

Faire du bruit était-il plus important dans les 90s ?

Oh, non, c’est sûrement pareil… Bien sûr que je veux toujours en faire. Mais parfois je prends une pause, vis-à-vis du bruit.

Alterner disques solo calmes et disques de groupe bruyants vous paraît un équilibre nécessaire ?

Pas vraiment.

Donc c’est juste que… ça arrive comme ça ?

Je préfère toujours le bruit, quand il peut advenir.

De quelle manière alors ce nouvel album est-il important à vos yeux ?

C’est ce que j’étais en train de faire, voilà: c’est le document de ce que j’ai fait cette année. Et c’est toujours important pour moi.