Cet album déçoit, et on aimerait trouver des coupables autres que Chris Cornell lui-même. Parce qu’on pense que Soundgarden, dont Cornell fut le chanteur pendant 12 ans avant la séparation en 1997, a toujours été un groupe sous-estimé, pris de haut par les gens « de bon goût », on espérait que cet album ferait enfin reconnaître sa voix et son sens de la mélodie tortueuse. Le dernier album du groupe, le gargantuesque Down on the upside de 1996, ouvrait de nombreuses pistes pour une carrière solo, et le single d’essai Sunshower paru fin 98 (sur la BOF du film De Grandes espérances) était très encourageant.

Sans surprise, cet album rappelle certaines ballades de Soundgarden. Mais si le changement évident est la disparition des morceaux brutaux au profit de climats plus sereins, il ne s’agit pas d’un album folk pour autant, et la vraie surprise vient de là : au lieu d’enregistrer ses chansons seul dans son coin, Cornell s’est entouré de quelques amis issus du groupe Eleven, combo de grunge-rock médiocre dont la seule particularité est d’avoir à ses débuts compris Jack Irons, par la suite batteur chez Pearl Jam. Alain Johannes et Natasha Shneider proposent hélas des accompagnements totalement dénués de personnalité, démontrant combien l’apport des autres membres du groupe était essentiel à Soundgarden. Voilà des coupables rêvés.
Flutter girl, Mission, Moonchild sonnent ainsi sans conviction, et en passant on s’énerverait même de certains effets inutiles ou sons absurdes, comme ce grésillement qui conclut Follow my way. Est-ce pour faire jeune ? Riche ? Tout cela ne parvient qu’à alourdir les morceaux, notamment Wave goodbye, dédié à Jeff Buckley (Chris Cornell avait l’an passé aidé la mère du défunt à compiler les morceaux de son album posthume), aux paroles agréablement directes. On préfère donc le dénuement acoustique de Sweet euphoria et l’évidence de Can’t change me, Steel rain ou Preaching the end of the world, morceaux les plus accrocheurs, à ces rocks informes. Le dernier morceau, une version frenchie à chier de Can’t change me, avec accordéon assorti, est un salut dont on se serait bien passé, Chris y rappelant carrément Julio Iglesias.

Ceux qui n’ont jamais aimé la voix de Cornell ne risquent pas d’atteindre l’ »euphorie matinale » par cet album et les anciens fans de Soundgarden ont toutes les chances d’être déçus musicalement, comme l’attestent les bacs des soldeurs déjà remplis de ce CD. Bref, ces morceaux bouffis mais sans poids font grandement regretter le groupe, et laissent rêver d’un album vraiment dépouillé ou encore mieux d’une suite aux propos laconiques de Cornell sur une éventuelle reformation : « Pourquoi pas »…