Dakar, comme d’autres capitales de ce monde, souhaite créer la pop du prochain millénaire. Les Sénégalais ingurgitent les sons du monde entier, les digèrent sous le poids d’une urbanité de plus en plus grandissante, les mélangent ensuite aux musiques du terroir, avant de les resservir sur une scène internationale de plus en plus assoiffée d’ailleurs. Ouverture, ressourcement et inspiration : un modèle de création qui permet à l’artiste de garder son authenticité. Youssou N’dour, Baaba Mal, PBS, Ismaël Lô, Idrissa Diop, Babacar Faye, Cheikh Lô… des noms qui se sont engouffrés dans cette démarche et qui, aujourd’hui, résonnent au-delà des frontières subsahariennes pour le bonheur de tous les mélomanes avertis. Avec Youssou N’dour surtout, qui s’est construit une dynamique à double sens. L’artiste produit dans un premier temps un son destiné à la scène locale, qui puisse exploser les nuits du noctambule dakarois. Et s’attaque dans un second temps au public en terre étrangère. Il n’est donc pas rare qu’un titre qui a longtemps tourné sur le marché national, prenne une allure légèrement différente en rentrant sur le marché européen.

C’est le cas avec M’beddemi qui ouvre ce nouvel album de « baye fall »*. D’une version pop dédiée à ses compatriotes au départ, le titre est devenu une guajira cubaine (sur une musique du cubain Portabalès), sans rien perdre de sa base mbalax (le rythme le plus prisé du Sénégal). Ceux qui l’ont écouté dans sa version initiale ne peuvent qu’être surpris par la nouvelle mouture. Cinq autres titres, appartenant à la version K7 circulant depuis des mois dans la région, ont ainsi été revus par l’artiste pour mieux cibler le public international. A cela, ajoutez trois inédits et la boucle est bouclée.

Bambay gueej est un excellent album, co-produit par Youssou N’dour et Nick Gold (l’homme du Buena Vista Social Club, mentor du label World Circuit), sur lequel des pointures de grande renommée viennent prêter main forte. Oumou Sangaré (la diva malienne), Pee Wee Ellis au saxophone (James Brown), Richard Egües à la flûte (Orquesta Aragon), Bigga Morrison à l’orgue (Aswad) et bien d’autres encore. Il mélange dans l’ensemble le son du mbalax national avec des influences latines, omniprésentes chez Cheikh Lô depuis Ne la thiass (le premier album), fait le clin d’œil à l’afro-beat ou au reggae mais affirme autant que possible son identité sénégalaise dans toutes les compositions. Pour qu’il n’y ait pas de doute, il insiste un peu sur les sabar ou encore sur le tama (des percussions issues du terroir), chante la jeunesse de son pays (avant de saluer celle de l’Afrique et du monde en général), rend hommage au fondateur du mouridisme au Sénégal (avant de souhaiter une terre plus légère à Fela). Ses chansons -critiques et pieuses à la fois- nous parlent d’un univers qui lui est d’abord proche. Sa voix, toujours aussi puissante, transporte ensuite ses complaintes dans cet universel que chérissait tant son compatriote académicien Léopold Sedar Senghor.

* Mouvement mystique issu du mouridisme (confrérie soufi du Sénégal) auquel appartient Chekh Lô. On pourrait rapprocher (et non confondre) le ‘baye fall’ des rastamuslim (à cause des dreadlocks et de la croyance en l’islam).