Caspar Brötzmann fait partie de ces artistes discrets, qui se font oublier quelques années, puis ressortent un disque en catimini, ce qui fait qu’au final, on ne les connaît pas. C’est le cas ici. Pourtant, auprès des amateurs de guitare avertis et exigeants, Caspar Brötzmann est une référence, un incontournable. A la fin des années 80 et au début des nineties, le fils du saxophoniste Peter Brötzmann a connu sa petite heure de gloire avec des albums décalés et puissants au sein de son power trio, Caspar Brötzmann Massaker. Mais vite assimilé à la famille des décalés un peu branques (Glenn Branca, Swans, Einstürzende Neubauten), il a sombré dans une sorte d’anonymat quand cette scène s’est peu à peu éteinte -on attend cependant toujours fiévreusement le nouvel album de EN, qui ne cesse d’être repoussé.
Pourtant, il a souvent été comparé, pour son jeu et sa manière de réinventer la six cordes, à Jimi Hendrix. Question son, ce n’est évidemment pas vraiment comparable. Son dernier opus, Mute massaker, toujours en trio mais sous son nom seul, est composé de longues et lentes compositions qui privilégient le clair-obscur voire le côté noir de la force, et dont les lancinantes montées en puissance ne sont pas sans rappeler celles, il y a quelques années, de Band Of Susans -des filles au tempérament bien trempé qui montraient, bien avant les L7 et autre Hole, que la gent féminine savait manier le manche avec rudesse et précision.

Pour revenir à Hendrix, ce n’est peut-être pas tout à fait un hasard si la dernière plage se nomme Woodstock hymne. Mais revenons à la première, Mute massaker, et ses dérapages free bruitistes. La filiation, où du moins la technique employée, avec Hendrix, est évidente. Derrière, la batterie opte pour des feulements, des caresses de plus en plus appuyées pour exhiber ensuite fièrement ses roulements, ses battements de peaux, comme pour un rituel, l’appel de la pluie pour irriguer le morceau. Cheyenne, le morceau suivant, semble rentrer dans des schémas plus rock, mais c’est pour mieux faire diversion, et offrir comme sur un plateau à la guitare de Brötzmann la possibilité des transgresser les règles.
On pense bien sûr jazz, free jazz, mais le tout reste trop électrique, électrisant pour en être. Sans doute Caspar a-t-il retenu de Peter les techniques de contre-temps, d’improvisation, des thèmes retournés dans tous les sens. C’est certain à l’écoute de Indians, l’un des morceaux les plus longs (13 mn 30), et l’un de plus tortueux de prime abord, mais les écoutes aidant, on comprend finalement clairement les structures enchevêtrées du morceau, et il n’en est que plus beau. Ecouter Caspar Brötzmann peut s’apparenter à une expérience, mais elle est de celles qu’il faut tenter.