Can, groupe allemand des 70’s, culte entre Neu ! et Kraftwerk dans le genre « krautrock » qu’a historicisé Julian Cope dans le très bon bouquin du même nom, ressort ses premiers albums en format mixte, « hybride », CD-SACD. Alors qu’aujourd’hui la musique tend à être de plus en plus compressée (MP3s, sonneries de téléphone), l’alternative bourgeoise (la hi-fi hich-tech pour lire les SACD n’est pas à la portée de tous les portes-monnaie) divise la culture en deux : les pauvres qui téléchargent illégalement des musiques altérées par la compression, les riches qui écoutent les SACD dans leur salon quadriphonique. En même temps, cette alternative bourgeoise donc, restaure un des groupes les plus importants du rock du XXe siècle. Le format CD est un entre-deux dont on se contentera, puisque les bandes originales ont effectivement été restaurées, et que ça sonne déjà mieux que les pressages précédents (lire notre entretien avec Irmin Schmidt pour plus d’infos techniques).

Toujours est-il que Can, groupe monstre des 70’s, est bel et bien réédité, et que c’est tant mieux. Fondé en 1968 par deux élèves de Karlheinz Stockhausen, le bassiste, ingénieur du son et échantillonneur Holger Czukay et le claviériste et chef d’orchestre Irmin Schmidt, déjà trentenaires, qui veulent bousculer les codes et inventer du neuf, dans une Allemagne qui se cherche encore une identité pop, Can fera plus que ça. Rejoints par le guitariste Michael Karoli et le batteur « clickesque » Jaki Liebezeit, Can inventera un nouveau genre de musique, au carrefour de tous les genres, pop, funk, jazz, concret, classique, inventant le son hybride et unique qui est le leur, qui synthétise tout ça et le rend transcendantal. Epoque hippie oblige, la musique de Can se nourrit de champignons (Mushrooms) et de transes. La musique sera donc chamane et psychédélique, gonflée d’abord par les transes vocales de Malcom Mooney, puis, dès 1973, par les loghorrées lapidaires de Damo Suzuki, divin.

Mais reprenons depuis le début. Voilà restaurés, remastérisés et réédités les quatre premiers albums de Can. Monster movie sort en 1969, marqué autant par le funk de Sly Stone et James Brown, que par le garage de Question Mark And The Mysterians et Music Machine ou le rock psychédélique du Velvet et des Silver Apples (un groupe allemand servira d’intermédiaire entre tous ces éléments : les délicieusement garage Monks, quatuor déguisé en moines qui se sont nourris de mersey beat et de radios américaines et ont probablement influencé Can). La face B est un long morceau hypnotique de 20 minutes, exemplaire à jamais du style puissamment évocateur de Can, Yoo doo right. Holger Czukay développe son jeu de basse inimitable (la ligne droite) en même temps qu’il commence à s’amuser avec les bandes, les coupant et les collant comme un précurseur du sampling, insufflant expérimentations psychédéliques à la rigueur martiale du groove canien. Soundtracks qui lui succède est une compilation de morceaux composés pour illustrer des films et des pièces de théâtre, Can se trouvant appréciés par le marigot arty dans lequel ils évoluent. On y trouve la croonerie She brings the rain et l’immense Mother sky, morceau hypnotique composé à l’origine pour le culte Deep end de Skolimowski. Mais c’est Tago mago surtout, qui pose et impose définitivement le style unique de Can. Double album contenant Mushroom, repris par Jesus & Mary Chain, et Halleluwah, copié par les ecstasiés Happy Mondays, Tago mago excelle en rythmiques métronomiques, apartés lysergiques, contredanses primitives et inserts concrets. Toute la patte expérimentale et pourtant si groovy de Can explose en milliers de détails fractals. Le tout est pourtant hippie comme il faut, annonçant Egge bamyasi, dernier album réédité, logeant les lyrics stupéfaits de Damo Susuki sur les hymnes Vitamin C ou Spoon, qui sortiront même en singles (le second s’écoulera à plus de 100 000 exemplaires). Ne manque que Future days (prochainement réddité) pour parfaire ce panorama des early Can, les meilleurs, quand le groupe jouait comme un seul homme, soudé au rythme et aux quatres pistes de son Revox.

Bref, les quatre albums méritent qu’on se les procure évidemment, ce sont des classiques du rock, les annonciateurs de la musique électronique d’aujourd’hui (celle qui se programme et qui se danse), les premiers expérimentateurs de la pop (ils ont quasiment inventé le sampling), des magiciens.