S’il a quitté Elektra pour J-Records, l’ex-Leaders Of The New School ne s’est pas pour autant reposé sur les lauriers et les honneurs recueillis par son précédent opus. Bien au contraire. Un an à peine après les diatribes anarchistes et paranoïaques du bien nommé Anarchy, il crache dans les bacs ce Genesis, qui s’inscrit dans la lignée de son hip-hop ample et soigné, le tout bien évidemment accompagné des onomatopées et autres hurlements qui sont sa marque de fabrique.

Ouvert par une intro égotripée qui redéfinit les règles en quelques rimes (« Rule #1 : Busta Rhymes is (my) name / And breaking motherfuckers down is (my) game »), l’album prend dans les dernières notes d’Everybody rise, une tonalité dangereusement sombre. Alors, entre les articulations de cet égocentrisme violent qui n’est au fond qu’apparent, transparaît une sagesse agressive, intelligente et mûre, une tâche de sang caillé qui dégouline sur les vestiges d’un establishment poussif : « We extremely serious, nigga ». Il y a chez Busta Rhymes ce cynisme insaisissable, cette obscurité volontaire, cette part d’ombre nécessaire qui sent la parano autant que la clairvoyance, et que le bonhomme laisse planer au-dessus de nos âmes pour les travailler plus en profondeur. On en est là de nos réflexions lorsqu’il coupe brutalement ce premier titre pour entrer dans le vif du sujet : « Enough for the intro shit ; Let’s get straight into it ! ».

Si les albums de Busta Rhymes ont toujours été conduits par une rare attention portée à la musicalité, Genesis ne déroge pas à la règle. Le chevalier de la rime égotripée est ici épaulé par une clique de producteurs haut de gamme au premier rang desquels Pete Rock ou encore les audacieux Chad Hugo et Pharrel Williams aka. The Neptunes, qui lâchent quelques titres forts en électro futuriste (As I come back…). Le grand Dr Dre, qui prend ici ses distances avec les quelques merdes qu’il a pu pondre ces derniers temps, sert lui aussi deux titres avec brio (Truck volume et ses mélopées pour organiste sous acide, et Break ya neck qui utilise quelques plans du Give it away des Red Hot Chili Peppers). Impeccablement orchestré, le son de cet album offre une synthèse rondement menée, digérant en quelques phases le vocabulaire du Dirty South, les rythmes bondissants du soleil californien, les charlestons scintillantes des Ruff Ryders, et l’impeccable diction des rappeurs new-yorkais.

Sur des gros sons de Dre autant que sur les expérimentations chargées en basses ronflantes et en stridences électroniques qu’un El-P ne renierait pas, le gros Busta ravage nos baffles, armé d’un flow plus rugueux que jamais, entre ragga aux accents futuristes et rap virtuose aux phrasés multiples. Break ya neck, mené par un débit épileptique et ultra-rapide en est l’exemple le plus convaincant. Explorant les figures de style, déchirant les syllabes, allongeant ses mots en autant d’onomatopées incandescentes, il y a dans cet album un résumé de la puissance de Busta Rhymes. Même si par endroits, Mc enragé plus que lyriciste pointilleux, il laisse poindre quelques faiblesses lorsque le couplet tire en longueur. Secondé par les accents enragés d’une Rah Digga, suivie de Mary J. Blige, Kelis ou encore Kokane et le Flipmode Squad au complet, il a pris soin de laisser une -maigre- place à ce misérable P. Diddy qui tombe ici sur le beat comme un cheveu sur la soupe, pour lâcher sur Pass the couvoisier quelques phrases à la syntaxe bien pauvre (« I’m the number one man/hot like summerjam »), en dépit d’un ingénieux jeu d’effets sur sa voix.

Face aux réflexions aiguisées de Busta sur sa société, face à ses phases que l’on peine parfois à suivre, tant le personnage use et abuse de chemins de traverse et autres gimmicks sinueux, on percute avec joie qu’il est sans doute l’un des Mcs les plus performants de la scène actuelle, empoignant les styles et les phases du hip-hop pour les passer à la moulinette de ses capacités vocales, et les recracher avec brio aux oreilles hallucinées de toute une génération de rappeurs. Et on percute dans le même temps que P. Diddy, ou Puff Daddy ou Sean Combs, ou comme-vous-voudrez, n’est désormais rien d’autre qu’un bien triste sire. Mais ça, on le savait déjà !