Citer les liens entre les nombreux musiciens de Chicago qui collaborent dans des formations post-rock (pour faire simple) prendrait une page entière. Rappelons donc simplement que s‘y développe depuis 5 ans une riche scène musicale, portée par le groupe phare Tortoise, dont la musique oscille entre rock, jazz, folk et bidouille électronique.
Brokeback est un projet mené par Douglas McCombs, bassiste de Tortoise, dont l’incontournable leader John McEntire fait office de producteur et percussionniste. Compositeur et interprète principal de ce disque, McCombs s’est entouré de quelques amis (John Herndon de Tortoise, Rob Mazurek de Isotope 217…) pour réaliser un album calme et acoustique, comme le beau Pullman de l’an passé : même climat majoritairement folk, même modestie dans le propos, même invitation à la rêverie bucolique, et même réussite.

Alors que chez des groupes cousins « post-modernes » l’expérimentation sonore est un moteur important, et les mariages stylistiques de rigueur, Brokeback semble moins ambitieux. Construites à partir d’ingrédients basiques (une basse solo, une ligne mélodique à la guitare, un rythme discret), les 12 plages de cet album n’ont rien de spectaculaire, héritant du folk sa simplicité apparente et son souci de parler des petites choses. Avec des notes suspendues et beaucoup de silence, avec deux cailloux et trois brins d’herbe trempés dans une rivière, McCombs et les siens explorent leur environnement immédiat, comme en témoignent les titres des morceaux, très liés à des lieux (This is where we sleep, The Wilson Ave bridge…), et le titre de l’album, qui suggère un enregistrement « sur le terrain ».
Deux d’entre eux commencent justement par des bruits réels, et contribuent à inscrire ce disque dans un cadre naturel un peu rétro. Le train à vapeur qui souffle au début de Returns to the orange grove est un appel à faire un voyage dans le passé, tandis que les cris d’oiseaux qui, au milieu de l’album, émaillent The Wilson Ave bridge… semblent nous indiquer qu’on est enfin en pleine nature. Ce morceau de plus de 7 minutes, au rythme qui s’installe délicatement, est un des sommets du disque, tout comme le motif limpide et irrésistible de Another routine day breaks ou les ondulations sensuelles de A Blueprint, mises en valeur par de fines touches de piano Rhodes.

Seule une légère baisse de niveau en fin d’album, avec un Seiche 2 « rock » assez inutile, nous retiendra de lui mettre la note maximale. Et si la prestation de Mary Hansen (seconde voix de Stereolab) sur The Great banks n’a rien d’extraordinaire, on gardera de ce morceau son sifflement apaisé, hommage aux meilleurs westerns.
En somme, Brokeback, disque sans artifice mais que chaque écoute rend plus précieux, est un des moyens les plus doux de finir l’été : un disque contemplatif qui part du quotidien et nous emmène au Grand Canyon.