Il faut toujours attendre un certain temps pour que des œuvres contemporaines se détachent de leur créateur. D’autant plus quand celui-ci fut Mstislav Rostropovitch. Il aura fallu que Britten accède en outre au statut de « classique » du XXe siècle pour que les interprètes l’incorporent à leur répertoire. Aussi ne peut-on que se féliciter de l’évolution discographique des œuvres de Britten. C’est Jean-Guihen Queyras qui, il y a maintenant quelques années, a ouvert à cette musique le chemin des salles de concert. Son album pour Harmonia Mundi avait été salué comme un enregistrement fondateur à juste titre. Car entre ce disque et celui de Rostropovitch (Decca), un silence presque absolu avait régné en France. Or le violoncelliste russe ne nous avait livré que les deux premières suites. On a donc accès au corpus complet depuis peu de temps.

La référence à Bach est ici omniprésente ; il est vrai que dès que le violoncelle se retrouve seul, la figure du Cantor se dessine toujours en fond de scène. Britten le savait, il a assumé cet héritage avec dignité. Bien que les allusions soient nombreuses (lignes brisées, arpèges, structures en cinq ou six mouvements, tonalités), la musique s’affiche dans sa pleine singularité. Comme chez Chostakovitch dont il n’est pas si éloigné, l’usage original de la tonalité se signale par sa liberté dans l’usage des dissonances, prises dans leur valeur expressive. En outre, le traitement profondément lyrique du violoncelle concourt à l’atmosphère tout en demi-teintes que dégage chacune de ces pièces. On retiendra notamment la Suite n° 2 op. 80 qui s’inscrit par ses cinq mouvements dans le sillage de la Partita n° 2 pour violon de Bach. L’une comme l’autre explorent les potentialités polyphoniques de l’instrument à cordes, tout en ménageant un souci cardinal de la ligne mélodique, toujours ample et libre. La sublime Chaconne terminale prend ainsi des allures tour à tour drolatiques et tragiques.

Avec cet enregistrement, on dispose à coup sûr de la version de référence moderne de cette musique. Mörk n’est pas un nouveau venu dans la course au titre de meilleur violoncelliste en activité. Il est cependant certain qu’il vient de marquer un point décisif. La sobriété et la sagesse profondes de son jeu font de lui le chevalier serviteur idéal. La perfection de son intonation et de son phrasé assure une conception noble et franche de sorte que les œuvres prennent l’apparence de vastes monologues quasi improvisés. La subtilité des dynamiques associée à la rondeur de son timbre permet notamment à la Suite n° 1 op. 72 de ressembler à un chant grave et digne. En définitive, le calme et la sérénité qui habitent ces œuvres sont parés ici des plus beaux atours que l’on puisse imaginer.

Truls Mörk (violoncelle). Enregistré en 1996 et 2000 à Oslo