L’objet-musique mammouthéen de la rentrée à n’en pas douter. Un coffret ultra-limité regroupant l’ensemble des singles de Blur, faces B comprises. 130 morceaux pour retracer dix ans de carrière d’un groupe qui aura fait couler beaucoup d’encre. Pas seulement à propos de la guerre stupide où on a voulu les opposer à Oasis. Non, car il y avait assez à dire sur le groupe en lui-même et sur sa musique. Pas mal de bonnes choses, une flopée de jolies plantages, des choix souvent discutables, des prises de risque comme les groupes britanniques ne savent pas -et ne veulent plus- en prendre depuis… 10 ans justement.

Ce qui est frappant et intéressant avec ce coffret, c’est, au-delà de la forme de couronnement ou d’hommage qu’il est censé représenter, qu’il atteint finalement parfaitement un but qui ne lui était sans doute pas fixé : montrer l’évolution de Blur par sa face la plus exposée -les singles, bêtes à charts- en permettant à l’auditeur de mettre en place une sorte de fil rouge reliant les vingt-deux (!) EP du groupe. Ou plutôt en lui offrant la possibilité de remonter -puisque c’est souvent ainsi que la mémoire fonctionne, du plus récent au plus ancien- jusqu’aux débuts de Blur afin qu’il se rende compte par lui-même que la route d’un des plus célèbres groupes anglais actuels est jalonnée de petits cailloux, des repères pour ne pas se perdre.

Ainsi, on se souvenait assez bien de There’s no other way et de son refrain bétasse et imparable -premier hit single du groupe qui atteindra la huitième place des charts anglais et que certains n’hésitent pas citer comme l’invention de la brit-pop, mais du coup on avait un peu zappé le premier simple, She’s so high. Tant mieux, car Blur n’y est pas à son avantage : on entend un groupe très emprunté, maladroit, pas tout à fait fini, vraiment nunuche. Il en va autrement de Popscene, en 1992 : les guitares sonnent, les cuivres pètent, on sent bien là certaines des influences du groupe -la scène mods, le ska- alors que la plupart des autres groupes anglais ne semblent rien reconnaître d’autre que la pop sixties ou la période punk. Et même si la première partie de carrière de Blur est marquée par quelques titres faiblards –For tomorrow, Chemical world-, il y a des choses à se mettre entre les oreilles : Sunday sunday (le ska, encore), la bombe du printemps 94 Girls and boys -pas magique, mais brillante arrogance- ou le sous-estimé End of the century.

La phase deux de Blur, la plus connue parce que la plus proche mais aussi parce que recelant le plus de hits (deux premières places, deux fois deuxième, trois fois cinquième…), est clairement la phase de maturité, avec ses échappées pas belles –Country house-, ses mélodies imparables à refrain débile –Charmless man-, ses coups de sang –Song 2, sorte de machine à headbanger-, ses nunucheries impardonnables –Tender-, bref, un groupe qui assume ses changements de cap en s’appuyant sur la voix et le charisme de Damon Albarn, un gros savoir-faire et une bonne dose de je-m’en-foutisme. Finalement, on reste sur le très maîtrisé Coffee & TV et le nouveau single, No distance left to run, dont on a l’impression que ce sont pratiquement deux des meilleurs morceaux du groupe, et qui donnent envie, c’est clair, de passer rapide à la phase trois, celle de la création sereine.