S’il se trouve encore des gens à tout ignorer de Blackalicious et nonobstant curieux de s’introduire à leur art, alors Blazing arrow leur est destiné. Empruntant des ingrédients proches des meilleurs opus des Native Tongues (Jungle Brothers, A Tribe Called Quest, De La Soul, Blacksheep…), mais plantant aussi des graines hip-hop composées à base de rare groove et de soul de luxe, Xcel et Gift of Gab misent depuis toujours sur des associations musicales très éclectiques pour distinguer leur propre recette. Alors bien sûr, les puristes vous conseilleront avant tout de vous ruez sur les prédécesseurs de cette galette de jais ébène, à commencer par la perle Nia ou encore le EP Melodica, qui contient les classiques Deep in the Jungle et Swan lake (qu’on retrouve sur la très bonne compilation Golden state of mind de DJ Serg) et blâmeront peut-être le tandem pour avoir invité un peu trop de monde sur ce dernier fait d’arme. Il est vrai que la liste des featurings est ici interminable ; les deux complices ouvrant leurs portes à tout un tas de proches et de références comme les Dilated Peoples, Ben Harper, Jurassic Five, Saul Williams, Gil Scott Heron, Tracey Moore, Jaguar Wright, Money Mark, Paul Humphrey, Sean Lennon, Dj Shadow, QuestLove de The Roots, Zach de La Rocha, Hi-Tek et on en passe. Il fait chaud dans les studios, il fait chaud dans le coeur des Blackalicious… Il fait chaud partout en fait, surtout sur les platines de Kowatabo, un des endroits de la planète où le crew a peut être le mieux retenti à ce jour. Breakdown !

Malgré la surenchère de guest stars, on est vraiment loin des albums exclusivement sustenté par l’apport de featurings. De fait, les convives de marque qui partagent remarquablement l’affiche avec le duo permettent à ce quatrième album de s’inscrire dans un manifeste black urban très impressionnant, qui débouche sur un disque formidablement maîtrisé. En atteste l’impétueux Chemical calisthenics, où Cut Chemist des Jurassic 5 réétudie le classique Alphabet aerobics, permettant au flow de Gift de s’envoler merveilleusement sur des breaks de batterie furieux, et ce jusqu’à l’anhélation. La boucle n’est jamais bouclée… Ici et là, on trébuche sur des rythmes exaltés, éclaboussés sans cesse par des cordes vocales bien ardentes. Attention au breakbeats de la Bay Area ! Attention au triptyque mirifique Release, qui commence voluptueusement par des breaks nappés de pianos et de flows impulsifs (alimentés par la furie de Zach de la Rocha). Alors qu’on commençait à frémir, le track se bloque violemment sur des percussions apaisantes baladées par un slam insolite de Saul Williams… On pense alors soudain au Karma de Pharoah Sanders mais aussi aux poèmes beats de LeRoi Jones, puis on revient sur les rails surchargés d’un hip-hop dopé aux violons et aux cuivres veloutés, cimenté par un riff de basse herculéen… Un moment d’extase de près de dix minutes, qui défie en fin de compte toute tentative de catégorisations.

A la fois old-school et moderne, charnel et robotique, festif et tragique, la musique de Tim Parker (Xcel) et David Mosley (Gab) emprunte les meilleurs vibrations du rock et du funk synthétique, de la pop aussi, en jouant sur une inspiration très variée, sans pour autant donner l’impression de se disperser. Un des meilleurs exemples de la très belle ouverture d’esprit de leur hip-hop baroque est peut-être l’utilisation ingénieuse d’un sample du grand Harry Nilsson (songwriter de génie dont le sublimesque Pandemonium shadow show influença Sgt Pepper’s lonely heart club band des Beatles) sur le titre d’ouverture, Blazing arrow. Les lascars ratissent large et bourlinguent dans les eaux psychédéliques de la sunshine pop… Des transferts (d)étonnants qui bouleversent la donne du hip-hop US et nous changent bien des gimmicks rebattus empruntés par une trop grande majorités des productions West Coast actuelles. Blackalicious vient de marquer un point de plus sur leur carnet de notes, déjà surchargé en bonnes recommandations. Release !