Beaucoup n’ont de Billy Cobham que l’image, foncièrement réductrice, d’un drums-hero mythique et brutal chez qui l’on ira chercher du spectacle et de la puissance plutôt que du goût et de la finesse. Jugements pour le moins précipités, qui ne font guère justice à ce technicien hors-pair dont on aurait tort de mettre en doute la profonde musicalité ; si c’est bien sûr au sein du Mahavishnu Orchestra du guitariste John McLaughlin puis avec son célèbre groupe Spectrum (avec George Duke et John Scofield) qu’il a connu ses heures les plus fameuses (les apprentis-batteurs du monde entier continuent, vingt-cinq années plus tard, de décortiquer ses polyrythmies stupéfiantes et de s’ébahir devant l’étendue de ses kits démesurés), il n’en a pas moins par la suite fait la preuve de la diversité de ses compétences et de sa capacité à s’inscrire, aussi, dans des contextes beaucoup plus mainstream.

A un Alex Dutilh un peu rapide lorsqu’il parle de Billy Cobham comme du « batteur le plus surestimé de ces vingt dernières années », resté « figé en mode pause » à une époque jazz-rock depuis longtemps révolue (cf. Jazzman, mai 2002 ; le plus figé des deux n’étant de fait pas forcément celui que l’on croit !), on recommandera donc cet Art of three de la plus haute tenue où, avec Kenny Barron (piano) et Ron Carter (contrebasse), il relit une série de standards devant un public scandinave enchanté. Enregistré en janvier 2001 au Danemark et en Norvège, cet album d’un impeccable classicisme donne donc à entendre six thèmes parmi les plus incontournables du répertoire jazzy (Stella by Starlight, Autumn leaves, Round midnight, Someday my prince will come…) et deux originaux (New waltz, de Carter et And then again, de Barron) dans l’interprétation desquels le tant décrié Cobham s’installe dès les premières mesures au niveau d’excellence et de musicalité que l’on sait être celui de ses immenses compagnons. Inutile, sans doute, de préciser l’élégance et le savoir-faire dont font preuve chacun d’entre eux, et combien Barron peut confirmer à chaque instant son statut de maître-bopper raffiné et souvent surprenant. Emmené par un Cobham sobre et irrésistiblement swingant (n’en déplaise à ceux qui refusent de lui ôter son étiquette binaire), ce trio offre un moment de jazz qui, pour n’avoir rien de révolutionnaire ni de spectaculaire, n’en est pas moins à tous points de vue exemplaire d’un plaisir de jouer et d’une science instrumentale formidables.