Ceci est une chronique du premier LP solo de Big Gipp, plus connu jusqu’à présent comme membre de Goodie MOB, l’autre pilier de la Dungeon Family aux côtés des Radiohead du rap, Outkast. Mais en fait, c’est d’un autre disque que j’aimerais plutôt parler : Cee-Lo green and his perfect imperfections, que l’ex-collègue de Big Gipp connu sous le nom de Cee-Lo a sorti l’année dernière. Parce que Perfect Imperfections est justement tout ce que, extérieurement, Mutant mindframe laissait espérer, mais ne donne pas -ou si peu. ; en plus d’être l’un de ces disques de rap vraiment originaux que, pour des raisons plus ou moins mystérieuses, personne n’achète -une catégorie où il voisine avec les oeuvres de Divine Styler, Five Deez ou le premier album d’Organized Konfusion.

Si l’on juge un LP par sa pochette, Mutant mindframe avait en fait tout pour être un grand disque branque. Avec son air de rasta intersidéral projeté dans une peinture de HR Giger, Big Gipp ressuscite en effet la figure du légendaire mutant bionique Rammelzee (Beat bop, 1983, produit par Jean-Michel Basquiat, intouchable leçon de Mcing oblique incroyablement à la hauteur de sa genèse mythique -à retrouver sur la New York Noise récente de Soul Jazz) ; la présence d’André 3000 derrière la console ne faisant que renforcer cette présomption d’extravagance. Sauf que l’Outkast flamboyant ne passe que pour un titre très moyen (Boogie man). Et que, là où Ceee-Lo était parti patauger en costume de velours dans les bayous funky avec sa lampe de poche et son couteau, Big Gipp conduit son pick-up flambant neuf sur les nouvelles autoroutes bien tracées du Dirty Dirty South, avec juste un badge politique sur son maillot de hockey.

Comme sur les albums de Goodie MOB, Big Gipp parvient en effet à balancer dans ses lyrics la célébration de la geste gangsta (E-40 et Eightball & MJG sont de la partie) avec des réflexions sur des sujets plus sombres, comme les victimes de la vague de meurtres d’enfants que connut Atlanta au début des années 1980. Mais c’est musicalement que les choses se gâtent. Dès Intro / I know the pain, l’album semble alors se mettre en pilotage automatique, Big Gipp ne trouvant pour poser son flow linéaire qu’un ressac de production représentant toutes les 4 mesures la même idée. Recette dont ne s’écarteront plus les titres suivants. Le bon point, s’il en faut un, est que cette idée n’est pas toujours la même : on passe ainsi sans préavis du néo-funk smooth façon années 80 de Steppin out (ça se chante) aux syncopes de WildOUT (ça se halète), du bondissant et socialement engagé Let’s fight aux beats contemplatifs de These times ; on évite l’ennui à la première écoute, ce qui est toujours ça. Mais le mauvais point est que cette idée n’est pas souvent bonne, ou originale. Entre l’alliage claviers + choeurs copyrighté Dr. Dre / Slim Shady de 3 wordz et la soul lyophilisée de All over your body, Big Gipp surfe sur les sons à la mode sans vraiment affirmer un son bien défini.

C’est ici qu’il faut revenir à Cee-Lo, pour comprendre tout ce que cet album aurait pu / dû être : lorgnant autant vers le néo P-Funk d’Aquemini d’Outkast que vers le rock et les cuivres vaudous de Dr. John, le tout reconstruit sur des machines digitales aux circuits manifestement bourrés de drogues psychédéliques, Perfect imperfections est le pendant Deep South et humide de la tentative de réinvention du cool Westcoast de Madlib. Des titres comme le bien titré Bass head jazz ou l’espèce de blues concret Under the influence (follow me) comptent ainsi parmi les choses les plus étranges qu’il vous sera donné d’entendre sur un album de rap. Cee-Lo était ce rapper qui, dans le Ego trip’s book of rap lists, citait le Velvet Underground comme l’un de ses grands chocs musicaux ; et trouvait le moyen de dire que Jim Morrison lui rappelait… lui-même.

D’après la presse, Cee-Lo a quitté les Goodie MOB en raison de désaccords artistiques. En écoutant la production de son ex-collègue Big Gipp, il n’est pas trop difficile de comprendre pourquoi. Avant d’acheter le prochain Outkast, cherchez Cee-Lo green and his perfect imperfections.