Bennie Maupin n’est pas le plus connu des grands souffleurs américains ; souvent, on ne l’identifie qu’à travers sa participation à la grande aventure des « Headhunters » de Herbie Hancock ou aux grands disques de la période électrique de Miles Davis (Bitches brew ou On the corner), en l’y résumant d’ailleurs parfois. Il faut dire qu’il est toujours resté discret en tant que leader, malgré un parcours extrêmement riche : quatre albums en quatre décennies, les trois premiers sur ECM et Mercury dans les années 1970 (Jewel in the Lotus, Slow traffic to the right, Moonscape) puis, après un long silence, le quatrième à la fin des années 1990 (Driving while black). Entre temps, il aura aussi commis l’improbable retour des Headhunters, piteuse résurrection qu’un unique album foireux aura vite fait avorter… Penumbra permet de découvrir sa nouvelle formation, un ensemble saxohone / basse / batterie dans la veine des trios de Sonny Rollins, David Murray ou Julius Hemphill, formé avec le percussionniste Michael Stephans, l’un de ses amis de longue date, et le bassiste Darek Oles ; le percussionniste Daryl Munyungo Jackson vient épauler Stephans pour rendre plus riche encore le foisonnement de micro-événements percussifs et ethniques qui donnent la couleur général de l’album. Dès la première écoute, l’impression est envoûtante : paisible et méditative, le plus souvent déployée dans les graves et les couleurs chaudes, la musique de l’Ensemble évoque une promenade dans la touffeur moite d’une jungle africaine, un tapis soyeux et profond dominé par les teintes jaunes et ocres. On ne sera pas surpris d’apprendre que Maupin s’est converti au bouddhisme, et que sa musique s’en est trouvée affectée : méditative, quasiment « zen » et d’une sobriété exemplaire, elle fascine par sa majesté et son dépouillement. Des éclairs plus free traversent ces paysages économes, les trois musiciens explorant alors des voies qui rappellent plus volontiers Eric Dolphy que Yusef Lateef. Admirable au saxophone, Maupin l’est encore plus à la clarinette basse, qui semble être l’instrument idéal dans le contexte velouté et foisonnant créé par ses deux comparses.