Il y a quelques années (pour l’album Sea change), nous écrivions : « Beck, un peu comme Tintin, est une abstraction. De la même manière que la figure ronde et creuse du petit reporter belge recelait autrefois toutes nos identifications héroïques, tous nos idéaux du moi enfantins, il semble que toute l’histoire de la pop musique prenne de la même manière aujourd’hui le visage lisse et inexpressif de Beck. Comme la synthèse sans fard et sans intentions de plusieurs décennies de musique populaire. Si l’adolescence de Beck fut rimbaldienne (« I’m a loser, baby »), et sa maturité post-moderne ou pop art (« We like to ride on executive planes », son goût de la photocopie), Beck entre aujourd’hui dans l’âge adulte comme dans le nirvana ou l’ataraxie, avec le regard détaché du sage, de l’homme cultivé à tous points de vue, pétri d’un savoir et d’un savoir-faire, qui en font le produit a-signifiant qu’il est désormais, une sorte de juke-box baby définitif ». Notre opinion sur Beck n’a pas trop changé, même si ce nouvel album, Modern guilt, devrait nous faire réviser quelque peu notre jugement.

Recruteur de dream teams, sachant s’entourer des meilleurs producteurs de chaque époque (Dust Brothers, Nigel Godrich par le passé), non content de faire chanter pour rien Chan Marshall sur deux titres (elle ne double que la voix, Beck Hansen a ici fait appel au producteur Danger Mouse, colistier avec Cee-Lo des one-hitmakers Gnarls Barkley et surtout auteur culte du Grey album, bootleg du White album des Beatles et du Black album de Jay-Z. C’est sans doute plus pour ses capacités à réactualiser le groove Beatlesien en machine à danser des années 2000 que Beck a recruté Danger Mouse, puisque tout ici rappelle l’efficacité rythmique des Beatles (les riffs de Harisson, déjà largement utilisés sur Odelay, les lignes de basses mélodiques de McCartney, les roulements de toms de Ringo Starr, jusqu’aux effets psychédéliques de bandes inversées). Le tout navigue quelque part entre un produit Anticon lambda (Replica, presque Tortoise), la section rythmique de Amy Winehouse (Orphans) et un bootleg rétrofuturiste. Le groove vintage se fait primate sur le morceau titre Modern guilt, en descentes chromatiques et voix sous-mixée, R&B sur Youthless, tout fourré aux samples plus ou moins grillés (Amour, Vacances et baroque de Paul Guiot and Paul Piot sur Walls), virant Beta Band meets Flaming Lips dans des trips immobiles (Chemtrails, chanson paranoïaque : il y a plein de sites qui expliquent le danger des chemtrails, ces rubans de pollution qui suivent les avions dans le ciel).

Coupable moderne (Modern guilt), Beck ne parle pas seulement des traces de pollution célestes, il se fait scientologue écologique sur Gamma ray (très early Who ) (« If I could hold hold out for now / With these icecaps melting down »), en appelle à la fin du nucléaire, finit l’album sur un Volcano que l’on prendra métaphoriquement comme un appel au réveil de la nature face aux assauts de la culture. De Orphans (orphelins)à Volcano, tout le disque est traversé par la culpabilité de ne pas faire ce que l’on est supposé faire (comme dans Lost), moral(iste) est responsable, engagé, protest, quoi. Musicalement, Beck continue donc sa relecture pop-moderne (Beatles, soul de New orleans, mâtiné de hip-hop 00’s), renouvelant ses thématiques par un engagement un brin hippie sur une production léchée. On baille un peu (pas de tube ?), bah, bof.