Le cinquième volet des explorations sonores de Bardo Pond révèle que la no-wave a encore de beaux jours devant elle. D’obédience sonic-youthienne, ce quintette de Philadelphie orchestre sur Dilate de lentes et sombres symphonies planantes où domine l’électricité des frères Gibbons (guitaristes). Malgré un chant assez décevant et quelques lourdeurs (Ib), l’album démontre que la distorsion peut être un bel objet de contemplation.

Le disque est d’un remarquable minimalisme technique, d’une facture assez velvétienne, comme en témoignent la rythmique et le gratté acoustique de Inside. L’ossature de la plupart des pièces repose sur la simple répétition d’une infime poignée d’accords ou de notes (mises en boucle sur Aphasia). Ce ne sont ni les notes ni même les accords, assez anodins, qui retiennent notre attention mais plutôt l’extraordinaire déploiement sonore auquel ils donnent naissance : le motif initial se voit presque toujours enrichi par différentes couches de saturation qui confèrent à la musique du groupe une densité sans équivalent. Ainsi, sur Inside, des lignes de guitare distordues à souhait et surgies de nulle part s’accaparent peu à peu tout l’espace du morceau : lente montée du volume, modification des pédales d’effet qui accroît l’ampleur des notes. Elles recouvrent de leurs gémissements électriques -dus à l’effet wah-wah- le cadre acoustique qui prévalait jusqu’alors. Ce n’est donc pas le morceau en lui-même qui est intéressant sur Dilate mais son évolution. Une évolution lente (la durée moyenne des morceaux est de sept minutes) et dynamisée par d’incessantes modulations du rendu sonore (amplificateur trituré, recours aux différentes pédales d’effets). Chaque pièce s’apparente à un voyage musical à travers des univers sonores parallèles où l’enveloppe sonique évolue tandis que les accords restent identiques. Two planes ou la fin de Swigillustrent parfaitement cet aspect de l’œuvre.

Le titre de l’album en dit long sur les liens qui unissent la musique de Dilate à la consommation de stupéfiants. L’intensification croissante de la matière sonore correspond à la phase ascendante (ce que l’on nomme habituellement la « montée ») propre à toute expérience haschischine, drogue de prédilection des membres de Bardo Pond. Despite the roar s’ouvre sur la répétition de quelques accords de guitare folk émaillés de notes réverbérées et vibrantes. Ce mouvement se prolonge cinq minutes… une éternité (dilatation temporelle) ! L’accélération du gratté et l’apparition de la rythmique libèrent soudainement les notes électrifiées, lesquelles prennent alors leur envol. Un tel schéma de composition, fait d’attentes et de jouissances quasi orgasmiques, s’adresse sans aucun doute à des oreilles dont l’acuité est sévèrement démultipliée. D’autres morceaux mettent plutôt l’accent sur la phase descendante (Hum). Ajoutons à cela l’emploi de certains effets comme le partage stéréophonique des divers instruments sur Gange.

La faiblesse des prestations vocales de la chanteuse nuance pourtant tout enthousiasme. Lasse et plaintive, Isabelle Sollenberger chante par saccades et souligne avec affectation son refus de succomber à la tentation mélodique. Sa voix éthérée est (volontairement ?) « blanche », c’est-à-dire dénuée de toute singularité. Il émane donc de son chant une désagréable froideur, d’autant plus regrettable qu’elle est par ailleurs une excellente musicienne (flûtiste sur Swig et violoniste sur Two planes).

Avec ses strates évolutives (violon, guitare et synthétiseur) Dilate traite la matière sonore de façon quasi géologique. Une telle expérience mérite d’être partagée.