Il aura bien fallu bien deux ans pour se remettre des borborygmes provoqués par Centipede Hz, cette espèce de kebab XXXL triple sauce numérique avec oignons fluos. D’autant que cette convalescence venait après les deux demi-molles musicales de Panda Bear, Person Pitch en 2007 et Tomboy en 2010. Difficile de retrouver une vie saine après une cure intensive de Digédryl et de Viagra.

On y sera parvenu en faisant le deuil d’Animal Collective, le groupe qui a produit l’un des plus beaux albums des années 2000 : Sung Tongs, pour finir haché menu dans un sani-broyeur numérique et devenir le Daft Punk des hipsters. Une décennie plus tard, on tend tout de même l’oreille quand David « Avey Tare » Portner lève le voile sur son nouveau projet, Avey Tare’s Slasher Flicks : un nouveau groupe (avec sa délicieuse compagne Angel Deradoorian , ex-Dirty Projectors, et Jeremy Hyman, ex-Ponytail), et surtout de nouvelles compos inspirées par les films d’horreur des 70’s / 80’s, les maisons hantées de fête foraine et le chamallow garage-psyché des sixties. Il y a là matière à fantasmer : après tout, Sung Tongs et Strawberry Jam d’Animal Collective ne sont pas si loin. Quant au souvenir des slasher flicks en question, piochés à la vidéothèque du coin avec les mains moites et le sentiment de braver l’interdit , il est certes un peu plus différé dans le temps, mais son empreinte reste toujours vivace. Pour nous mettre encore un peu plus l’eau à la bouche, Avey Tare fait monter la sauce  en évoquant le « Monster Mash » des Groovie Goolies  et « They’re Coming To Take Me Away » de Napoleon XIV, soit la crème des novelty records si chers à Lux Interior et au Dr Demento. On a vraiment de quoi y croire.

Très vite, on s’emballe. On se remémore tout ce que ces liens de sang entre film d’horreur et rock patibulaire – sans même aller puiser dans le Black Metal, le noise ou la dark ambient – ont pu produire de jubilatoire et d’abjectement fun, de Goblin à Wolf Eyes en passant par les Misfits. Ou encore, summum de creepiness, la bande-son proto-industrielle de Massacre à la Tronçonneuse

Il y avait donc vraiment de quoi baver. Alors ? Au final, qu’est-ce qu’il propose, Avey Tare ? À quoi ça ressemble, son Slasher Flicks ? À une énième Carpenterie tendance ou à un grand-guignol psychédélique? Ou mieux : ni à l’un, ni à l’autre ?

Voilà tout le problème : la surprise avec cet album, c’est qu’il n’en contient aucune. Atteint du syndrome de Peter Pan, Avey Tare fait dans l’Animal Collective et l’hémoglobine a vite fait de se transformer en glucose indigeste. La poésie brutale et poisseuse des slasher flicks ? Walou, nada, on cherche encore. Songez plutôt à une Famille Adams power-pop revisitée par Jim Henson. Qu’apporte la collaboration d’Angel Deradoorian, musicienne talentueuse et chanteuse délicate ? On ne saurait le dire : elle semble reléguée à faire de la figuration vocale. La batterie de Jeremy Hyman ? Elle déroule ses rythmes répétitifs comme un ersatz de boîte à rythmes chipée à Panda Bear. Quant aux arrangements, ils n’ont rien à envier à un cartoon Hannah-Barbera orchestré par les Beach Boys. Faudrait-il guetter le pas de côté d’Avey Tare himself, dans ce cas ? Ce serait vain : il ne quitte aucun de ses tics de chant, et persiste à triturer sa voix à grand renforts d’effets, de façon systématique, suscitant à la longue une forme d’exaspération. On en vient presque à regretter qu’Ariel Pink ne soit pas venu lui couper l’herbe sous le pied.

Est-ce à dire qu’il s’agit là d’un mauvais album ? Disons plutôt qu’il se contente de prolonger l’univers vasouilleux des derniers Animal Collective, ne renouant qu’en de brefs instants avec l’éclat baroque de son âge d’or. Le titre d’ouverture, « A Sender », semble tout droit sorti de Strawberry Jam et laisse augurer d’une belle renaissance. Autre titre remarquable, « Strange Colores » tire très bien parti de l’orientation plus live, plus directe, de ce nouveau projet.  On retiendra aussi « Little Fang », un morceau entraînant et instantanément attachant. Jamais on n’a entendu quoi que ce soit de plus évident de la part d’Avey Tare : une pop-song pourvue d’une dose de bizarrerie dans ses arrangements, mais d’une bizarrerie qui n’a, pour une fois, rien d’ostentatoire. Cette seule chanson vaut une promesse : celle d’un prochain album délesté de la panoplie encombrante d’Animal Collective.