On ne sait rien ou presque du japonais Asa Chang, si ce n’est qu’il fut le leader d’une formation appelée The Tokyo Ska Paradise Orchestra il y a quelques années et qu’il est percussionniste de formation. Il apparaît pour la première fois dans nos contrées avec ce très étrange projet, où il est accompagné du groupe Junray, dans lequel officie le tablaiste U-Zhaan. Ensemble, ils donnent vie à un étrange univers de rythmes élastiques, de mélopées romantiques, de mots effrénés, où bataillent sans cesse occident et orient. A ce titre, ils posent la même question que posaient Ground Zero et Otomo Yoshihide sur le passionnant Revolutionary pekinese opera : mais qu’est-ce donc que l’exotisme ? Bien entendu, ils n’y répondent pas, et se content de provoquer l’étrangeté et le paradoxe en collant et jouant à tout va musique de fanfare, envolées hollywoodiennes, et musique chinoise, bleeps informatiques et percussions ancestrales.

Le résultat transporte dans un ailleurs précieux comme peu de disques entendus récemment. Hana, en ouverture, étend d’abord un tapis de cordes romantique, sur lequel palabrent à foison deux voix à l’unisson syncopé d’un tabla virtuose. Le lieu est posé, prêt à accueillir une fanfare de rue et des voix désarticulés et robotisés d’un choeur fantôme. Asa Chang lui-même chante, mais se cache derrière un tapis d’effets qui donne l’effet d’écouter un robot asthmatique. Sur Kobana, un petit mélodica (la flûte à bec du peuple japonais) fait tout le travail, et on croirait entendre Nino Rota se donner le seppuku. Nigatsu fait tressaillir une guitare au coeur brisé et des vocalises approximatives charcutées dans le coeur de l’ordinateur, au spleen magnifique. Goo-Gung-Gung laisse à entendre exactement ce que son titre laisse deviner : des rythmes frénétiques de gongs japonais, à peine transfigurés par un sequencing isolé, dernier rempart de modernité. Jippun commence au fin fond de la campagne japonaise, au Moyen-Age, avant qu’un ouragan multicolore ne vienne tout repeindre façon Timothy Leary. Kokoni Sachiari est un arc-en-ciel qui rejoint Delhi, New York, et Tokyo.

Asa Chang finalise son entreprise de démantèlement culturel en reprenant le Comme à la radio de Brigitte Fontaine et Areski Belkacem avec une cithare, une trompette et R2-D2 dans un coin. Vous avez dit bizarre? Jun Ray song Chang est une curiosité passionnante, un régal étrange qui invente la nouvelle folk music d’un territoire inédit et imaginaire. De la vraie world music, en somme.