Parce que le Japon est toujours un peu trop loin, on est un peu en retard à la fête d’anniversaire des dix ans du Sonore de l’expatrié de Franck Stofer. Mais le coeur y est. A songer à ce que la petite structure a accompli depuis l’encyclopédie Japanese independent music jusqu’à la cristallisation en bonne et dure forme de l’écurie la plus singulière de Tokyo (Satoru Wono, Satanicpornocultshop ou Yuko Nexus6) on en aurait même presque le tournis. D’autant qu’après une enfance consacrée à relayer le boucan (quand il sortait des inédits des Ruins ou Hoppy Kamiyama), Stoffer a fait prendre une chouette tangente pop à son label multicolore : après les vers d’oreille ingénus de Akane Hosaka (croisement idéal entre l’étrangeté fastoche du multi-instrumentaliste Itoken, l’onirisme régressif de Nobukazu Takemura et les Soothing sounds for babies de Raymond Scott), il a même réussi à attraper dans ces filets l’étrange Mayutan pour sortir le premier album officiel de son groupe Applehead.

Pour ceux qui n’ont jamais croisé sa route, Mayutan est cette créature tout droit sortie d’un cauchemar cosplay, toujours couverte d’un pelage rose bonbon et qui s’imagine en gentil extra-terrestre en visite par chez nous. I ?CQ (prononcer « I Love Chikyuu », j’aime la terre) est sa déclaration d’amour à la planète, en 11 tranches trépidantes d’electropop inclassable, entre dance régressive (avec voix autotunée et tout le tintouin) et pur bonheur technopop. On aurait pourtant vite fait de ranger les chansons de Mayutan et de ses deux comparses Fredy et Candy dans le moribond revival Shibuya Kei mongol qui a vite fait de délaisser l’effusion créative (le Plus-Tech Squeeze Box de Tomonori Hayashibe est aux abonnés absents depuis bientôt cinq ans) pour les charts (voir l’immense succès de Yasutaka Nakata avec Perfume ou celui du trio 8bit YMCK) : à l’image de Otona no picnic qui débute comme une variation autour de Yellow Magic Orchestra, on saisit vite que la techno pop du groupe de Mayutan a les racines solidement attachées dans la New-Wave (Devo ou XTC) et qu’elle connaît ses classiques sur le bouts des ongles (tout mous, tout roses). La deuxième moitié de l’album, la meilleure, se parcourt ainsi comme un chouette résumé upgradé (gros kick, petits arpèges 8bits) de la Techno Kayo, cette chouette mouvance du début des 80s descendante de YMO qui repeignit un court moment la musique populaire japonaise avec des étoiles arty et des gros synthés. Avec la fantasque et énervée Doddodo ou le barge Yudaya jazz dans son nouveau roster, nul doute que Sonore devrait prendre encore un peu plus de galon dans les mois qui viennent.

Presque en même temps, c’est le vieux Professeur Hosono lui-même qui ranime son label Daisy World après la case anniversaire (60 ans en grandes pompes et en public), un beau retour à ses sources crooner et au personnage de Harry Hosono (Flying saucer 1947). Célébrant l’émission de radio du même nom que Hosono anime chaque semaine sur Inter Fm, Daisy holiday est un objet sans âge et très enthousiasmant qui en dit long sur ce qui fait battre le cœur du maître en 2009 entre deux concerts à guichets fermés d’une énième reformation de (HAS)YMO et l’édition d’un volume d’Archives indispensable. Exit l’electronica high-tech de Eater ou Ryoichi Kurokawa, exit Atom Heart, exit même la pop solaire et hybride de Gutevolk ou Takagi Masakatsu, Hosono revient aux chansons folk, aux années 40 et à l’exotica et son gros collage brillant pioche dans tous les genres et toutes les époques sans frémir, en misant tout sur les tunnels temporels. Un shoot d’incredibly strange music par ci (Harry Breuer and his quintet) converse avec un peu de swing par là (le groupe revivaliste Beau Hunks qui joue standard de Raymond Scott, le Typewriter theme de Leroy Anderson en version midi par la divine Miharu Koshi, ailleurs toujours obsédée par le Paris des années 20), une reprise électronicisée du Edelweiss de Rodgers et Hammerstein par Beautiful Hummingbird prépare le terrain pour un chouette inédit tout en glissandi hawaïens de Towa Tei, Hosono lui-même reprend le héros ragtime Hoagy Carmichael ou ressuscite son vieux groupe Tin Pan Alley (avec Shigeru Suzuki à la guitare, s’il vous plaît) quand son protégé World Standard joue un standard traditionnel portoricain… Le voyage temporel est tortueux mais infiniment cohérent. Et si les incartades indie folkie plus plan-plan font un peu bailler (les mignons Kicell, les plus sirupeux Takuji Aoyagi ou Humming Kitchen), les hilarants skit élaborés et joués par Hosono lui-même avec son vieux compère Eiichi Azuma rappellent les sketches très politiquement incorrects qui ponctuaient les versions originales de X? Multiplies et Service et rendent l’objet plutôt indispensable.