« Alors que, pour la plupart des gens, la musique de film est un accessoire que l’on pose dans un coin, [j’ai] toujours pensé qu’elle jouait un rôle important sur la structure, sur l’explicitation des émotions », déclarait Antoine Duhamel aux Cahiers du cinéma, voilà quelques années (hors-série Musiques au cinéma, 1995). Alors que sort le deuxième long métrage de Serge Le Péron, L’Affaire Marcorelle, dont il a composé la musique, il semblait en effet urgent de reprendre et de redécouvrir l’impressionnant itinéraire cinématographique du compositeur de Pierrot le Fou (plus de 80 films), sans oublier de souligner que sa carrière est aussi passée par l’opéra (neuf en tout), plusieurs oratorios, chansons et séries télévisées. D’où ce projet anthologique conçu et réalisé par Stéphane Lerouge, compilant onze bandes originales, de Méditerranée de Jean-Daniel Pollet (1963 : « l’un de mes passeports pour le cinéma de Godard… Le film fait aujourd’hui l’objet d’un véritable culte ») à L’Affaire Marcorelle, en passant par Week-end (Godard, 1968), qui firent de lui l’une des icônes musicales de la Nouvelle Vague.

Oeuvre de toute première importance, donc, ici agencée avec un souci délibéré de désordre chronologique et de « va-et-vient entre quelques grands incontournables et des œuvres plus secrètes, voire iconoclastes » pour le moins contestables : si l’écoute de Somewhere in Singapour (extrait de Cinq gars pour Singapour, de Bernard Toublanc-Michel, 1966), chanson extraordinairement kitsch et bourrée de tics militaires, se révèle particulièrement divertissante, on reste convaincu que la bande originale de Pierrot le Fou méritait mieux que les trois minutes du Ferdinand ici proposé (avec, certes, une chanson inédite composée pour le film et interprétée par Anna Karina en bonus-track). De la même manière, la place accordée au Ridicule de Patrice Leconte (1996) paraît légèrement excessive en regard de celle des Week-end ou Le Corps de Diane (Jean-Louis Richard, 1970). Sélection éclectique mais imparfaite, donc, que rattrape partiellement un livret plutôt bien conçu, avec les commentaires du compositeur pour chacun des films représentés et les témoignages de Patrice Leconte et Serge Le Péron (on aurait aussi aimé lire Godard et Jean-Pierre Léaud, mais soit).

Au moins prend-on la mesure de la variété du vocabulaire de Duhamel, entre classicisme ou réminiscences schoènbergiennes (Méditerranée) et emprunts colorés à la comédie musicale, influences jazzistiques (Belphégor) et extravagances sonores (les bruits de bulles du Thème de la drogue dans Cinq gars pour Singapour : « Je me revois à l’enregistrement, soufflant dans un verre d’eau avec une paille ! »). Et, avant tout, l’inoubliable partition de Pierrot le Fou, grave et lyrique, que Duhamel explique avoir bâtie sur cette dualité du personnage incarné par Belmondo, comme la « schizophrénie d’un Schumann ». L’éditeur nous promettant une prochaine série de rééditions, on prendra cette petite compilation comme un aimable prélude, moins pour son réel intérêt musical que pour ses vertus apéritives.