La réédition couplée de leur deux premiers albums, Danse manatee et Spirits they’re gone spirits they’ve vanished, avait été proprement tétanisante ; ces gens de Brooklyn, le duo Avey Tare et Panda Bear à l’avant-poste, cassaient et inventaient, pour de vrai, pour de bon. Ce quatrième opus (un troisième, Here comes the indians, est paru sur le confidentiel Paw Tracks de NY) vient après la bataille mais réécrit tout l’alphabet lézardant du groupe, cortège bondissant d’idées excentriques mais tout à fait brillantes.

Ces derniers temps, il semble planer à New York comme un vent de primitivisme. Comme un retour à une sorte de soupe primordiale du folk, le duo ne lâche donc pas sa guitare acoustique et tip-tape sur tout ce qui l’entoure pour faire vibrer le bois, laisse vagabonder ses (exceptionnelles) mélodies en liberté dans un zoo ambiant libre mais pas ardu, ce qui aurait pu faire peur (comme chez les voisins de Black Dice, qui font du noise avec des menhirs, ou du No-Neck Blues Band, qui jouent le delta comme s’ils étaient des enfants de deux ans, ou, au choix, des alligators) ; mais Animal Collective a quelque chose à fêter. On ne sait pas quoi, mais la plupart des chansons chantées de ce Sung tongs exultent d’une joie communicative comme on a rarement pu en entendre en ces temps de spleen urbain chic et glacé. Mais quoi, sont-ils Hippies, ces animaux-là ? Oui et non, l’amour qu’ils chantent semble venir d’ailleurs, et y aller sans raison ; on cultive un vrai sens de l’excentrique, on conjure la tradition. La voix d’Avey, haute perchée comme si elle était gonflée à l’hélium, serpente glorieusement entre les roulements de boucan, mais ne se pose jamais sur aucun riddim classique : on erre dans cette étrange République invisible, pleine de figure effrayantes et souriantes à la fois, décrite par Greil Marcus dans son livre du même nom sur les étranges excavations ethnologiques d’Harry Smith et Bob Dylan. Animal Collective reviennent à l’âge de pierre de la musique folk, avant la Renaissance de vieux, avant son quadrillage newtonien, avant que ses notes soient cristallisées en gamme ; revigore l’essence ludique et régressive de la pop music, celle des Friends et Smiley smile de Brian Wilson, de Os Mutantes ou des vignettes les plus excentriques du White album des Beatles ; chante tout ce qui lui passe par la tête et le chante à tue-tête, le plus fort possible.

Il paraît que les cours de la hype s’emballent autour d’Animal Collective ces temps-ci : c’est bon signe, ça veut dire que les gens ont soif de musique, pas d’idées.