On pense beaucoup au trio de Tord Gustavsen durant les premières mesures de  » Just Now « , splendide thème inaugural de ce premier album d’Anat Fort, qui ressurgit d’ailleurs à deux reprises par la suite : douceur veloutée du toucher, goût de la lenteur et de la solennité, sens de l’espace, sobriété quasi ascétique de la contrebasse (Ed Schuller) et de la batterie (Paul Motian). Née à Tel Aviv, la pianiste israélienne a émigré aux Etats-Unis au milieu des années 1990 pour s’y frotter à la scène jazz et y parfaire sa formation ; elle va depuis d’un monde à l’autre en passant des clubs et du jazz à la musique israélienne et de New York à Tel Aviv. C’est cette « longue histoire » qu’elle met en scène dans A Long story, bel album à la délicatesse un peu empruntée et à l’uniformité de ton à la fois envoûtante et lénifiante. Auteur de la totalité des morceaux, Anat Fort joue sur un terrain balisé, côté références, par Bill Evans, Keith Jarrett et Paul Bley ; à ces imprégnations fortes s’ajoute l’originalité d’une touche traditionnelle relevée par Paul Bley, et qui l’a d’ailleurs conduit à accepter de collaborer à l’album : « J’ai d’abord refusé parce que je ne savais rien d’elle et de sa musique. Mais j’ai été agréablement surpris par la qualité de la musique proposée par Anat, notamment cette façon d’intégrer dans ses compositions effluves musicales venues du Moyen-Orient ». On pense aussi volontiers aux derniers albums de Charles Lloyd, à partir du troisième morceau, le trio devient quartet avec l’entrée en scène, toute en retenue là aussi, de la clarinette de Perry Robinson. Au risque de manipuler un cliché, on donnera sans doute une idée aussi fidèle que possible de la tonalité générale de A Long story en disant qu’il n’aurait été nulle part mieux que sur ECM : les amateurs applaudiront, les autres regretteront peut-être la monochromie un peu trop tranquille de l’ensemble, tout en reconnaissant à Anat Fort un remarquable talent de compositrice et un univers qui, à défaut d’originalité, ne manque pas de poésie.