Alfred Schnittke est mort il y a deux ans. S’il fallait que la musique de la deuxième partie du xxe siècle se résume à cinq (même dix) noms, Schnittke n’en ferait certainement pas partie. Cependant, il serait injuste de ne pas se faire l’écho d’un compositeur qui a justement milité contre le silence. Enfant de l’ex-Union soviétique, il n’a jamais accepté les canons esthétiques érigés par Jdanov et ses successeurs. Porte-étendard de la résistance au communisme, on a tôt fait de le prendre pour un génie. Nous relativiserons ce point de vue. Ainsi, Penderecki nous apparaît-il dans son œuvre chorale plus capital, plus essentiel.
Chez lui l’émotion se manifeste partout. A l’évidence cela offusquera les admirateurs des Glass, Reich, Adams, bref de l’école américaine minimaliste. Comment expliquer cette propension au pathos ? Certains convoqueront la sacro-sainte âme russe pour la justifier. On pourrait également penser aux musiques estoniennes, aux tentatives d’Arvo Pärt, mais empressons-nous de dire que leur démarche n’est pas similaire. Car il n’y a pas chez Schnittke de retour à un âge moyen (ou du moins l’idée qu’on s’en fait). Si le Concerto pour chœur se fonde bien sur des textes du xe siècle, on ne se risquera pas au jeu de l’analogie, trop réducteur pour une telle œuvre. C’est pour cela que Schnittke demeure indéfinissable.
De même, son polystylisme en hérisse plus d’un. On le comprend tant sa musique semble parfois facile, manquer de personnalité. Sil cherche à restituer le chaos, ce chaos rassemble des images de Moussorgski, Stravinsky, voire Xenakis (de ce dernier on est longtemps resté sous le choc de Nuits). Le Requiem a la même tonalité profonde, divulgue la même angoisse de vivre. Mais il y a aussi l’espoir, serpent de mer de tous les hommes un tant soit peu mystiques. Et Schnittke, à l’évidence, l’était. Quant à l’interprétation, elle est irréprochable. La beauté des voix, alliée à une rigueur sans failles des musiciens, est une garantie de réussite dans ce répertoire. C’est aussi le charme de cet enregistrement.

Chœur Philharmonique de Prague, Jaroslav Brych (direction)