50 Cent est un bâtard de gangsta mal dégrossi, un « black face » jouant au Nègre pour les Blancs, un bouffon qui ridiculise le rap. 50 Cent est un entrepreneur de rue génial, un modèle de cross-over intercommunautaire, un artiste à l’intuition pop redoutablement efficace. A l’occasion de la sortie en salles de Get rich or die tryin’, portrait du bonhomme.

50 Cent est Curtis Jackson troisième du nom, né le 6 juillet 1975 d’une mère dealeuse et de père inconnu, lui-même dealer de crack à 12 ans dans son quartier de Southside Jamaica, Queens, apprenti-rapper auprès de Jam Master Jay à 22 ans, laissé pour mort, 9 balles dans le corps, le 24 mai 2000, nouvel espoir de NY produit par Eminem et Dr. Dre trois ans plus tard, superstar multimédia en 2006. 50 Cent est aujourd’hui le visage du hip-hop américain, la dernière incarnation de ce monstrueux mutant qui, depuis trente ans, aura tour à tour tourné les platines avec les Djs des block-parties du Bronx, chaussé les lunettes et les Adidas de Run-DMC, levé le poing avec Public Enemy, fumé des joints avec Snoop Dogg, écarté les bras façon Christ gangsta avec 2Pac, descendu des bouteilles de Crystal avec Puffy, troqué le survêtement pour le costume croisé avec Jaÿ-Z, gueulé avec Lil Jon. Tout ça pour, aujourd’hui, fredonner des refrains faciles à la radio et crier « G-G-G-G-Uuu’Nit ! » à 10 000 au milieu des travées de Bercy. Tout ça pour çà ? Oui. Et le pire, c’est qu’en plus la musique est bonne. Ce qui n’est pas le moins important. Mais reprenons l’histoire depuis le début…

1. Un bâtard de gangsta mal dégrossi

Lorsqu’il sort le 6 février 2003, Get rich or die tryin’ est le premier album officiel de Curtis Jackson alias 50 Cent ; parmi les millions d’adolescents qui lui font alors un triomphe, rares sont ceux qui le connaissent depuis plus de quelques mois -c’est-à-dire, pour la plupart, depuis qu’ils l’ont découvert sur la compilation inspirée du film 8 mile avec Wanksta. Dans les rues new-yorkaises au contraire, Get rich or die tryin’ est au moins le cinquième CD du rapper, entre les bootlegs de ce qui aurait dû être son album CBS trois ans plus tôt et les multiples mixtapes venimeuses qu’il sortira par la suite. Quant à son nom, il est déjà connu depuis plus longtemps encore, puisqu’il a appartenu quinze ou vingt ans plus tôt à un voyou frappadingue du quartier de Fort Greene à Brooklyn mort à 23 ans en 1987, après avoir été immortalisé sur la photo de groupe qui orne le verso de la pochette du classique Paid in full d’Eric B & Rakim. Curtis Jackson ne craint pas la comparaison : la rue, il en vient, il en avait été. Et, à l’orée de sa nouvelle carrière de rapper, ce sont les méthodes qu’il y a apprises qu’il entend appliquer pour réussir (ou mourir en essayant). A savoir : une force de travail peu commune, une volonté à toute épreuve, un esprit constamment offensif, une avidité irrépressible. Et de fait, c’est sous la forme d’un voyou sans foi ni loi qu’il déboule vraiment sur la scène hip-hop new-yorkaise, en 1999, avec son premier maxi, l’absolument explicite How to rob / Comment braquer, sur lequel il se représente en brute « straight from the street » interpellant à peu près toutes les stars de la scène hip-hop / R&B de l’époque (Missy Elliott et Timbaland, Boyz II Men, Master P, Mariah Carey, Puffy, « Busta Rhymes et tout le Flipmode Squad »…) pour leur promettre un dépouillage en règle. C’est une manière aussi habile que vicieuse de se faire un nom. En effet, en faisant le choix d’attaquer nominativement ses cibles, il piétine alors la règle tacite qui régit habituellement les morceaux de défi, ranimant par la même occasion un peu de cette atmosphère délétère qui a précédé l’assassinat de 2Pac et Notorious BIG, lorsque, principalement attisée par Death Row, la querelle East Coast vs West Coast bat son plein au son de Hit’em up. Ce dont Fifty se fout pas mal : il a réussi, il a frappé suffisamment fort pour être connu ; et quand Jaÿ-Z lui répond sur scène peu après d’un fielleux « I am about a dollar, what the fuck is 50 Cent ? », il va le remercier : « Dis ce que tu veux, enfoiré, mais dis mon nom, j’ai besoin de rien d’autre », conclut-il sur cet épisode dans l’autobiographie qu’il a récemment fait paraître aux Etats-Unis, From pieces to weight (MTV Books). Après tout, il n’est pas le premier à procéder ainsi pour s’imposer : KRS-One ou Canibus, pour ne citer qu’eux, n’ont pas procédé autrement. Le premier en éclatant Mc Shan avec South Bronx en 1986 ; le second en défiant LL Cool J avec 2nd round KO dix ans plus tard. Sauf que Fifty n’est pas motivé par la volonté de représenter son quartier, comme KRS-One, ni même par le désir de démontrer sa technicité de Mc, comme Canibus ; mais par l’envie. Ce qu’il voulait dérober à tous ces artistes n’est ni leur talent, ni leur succès, mais seulement les signes de ce succès -la Bentley de Jaÿ-Z, les bagouzes de RZA et Raekwon et Ghostface… et rien au malheureux Ol’ Dirty Bastard car « ça s’rait du temps perdu ». Son rêve à lui n’est pas d’être un rapper, mais d’être riche.
Il ne s’en cache d’ailleurs pas lorsque, dans From pieces to weight, il confie son mépris pour tous ces rappers qu’il croiseà l’époque où il enregistre avec les Trackmasters, en 1999-2000, et qui se prennent tous pour des « artistes », alors que lui est là pour « essayer de travailler (…), de faire sortir de terre mes projets ». Car, résume-t-il sur How to rob en une rime arrogante, et mille fois citée depuis : « The only excuse for being broke is bein in jail / La seule excuse pour être fauché c’est d’être en taule ». C’est cette morale froidement capitaliste, acquise après dix ans de deal de rue, qu’il amene avec lui lorsqu’il se met au rap. Et c’est parce que le rap est devenu, à la fin des années 1990, un secteur économique au moins aussi rentable (mais nettement moins exposé) que le deal qu’il a décidé de passer de l’un à l’autre : 50 Cent est le rapper de l’après-Death Row, de l’après-Bad Boy, de l’après Roc-A-Fella ; il est l’héritier et le symptôme de ce rap devenu industrie, des labels nés de la rue qui brassent tout à coup des dizaines de millions de dollars, des magnats ghetto en Versace, du champagne Crystal bu à la bouteille. Et il va rapidement démontrer que sa tonitruante entrée en scène n’est pas qu’un exercice de style. How to rob n’aurait jamais eu un tel impact s’il n’avait pas été aussi excessif ; mais c’est également sa limite : comment confirmer de façon crédible, après un début aussi fracassant ? Fifty applique alors la méthode simple que pratique tout nouveau venu dans le commerce de rue de la drogue : l’intimidation des revendeurs installés, pour les affaiblir et, finalement, leur piquer leur place. Plutôt que de s’en prendre à une cible trop élevée -Jaÿ-Z, alors en passe de devenir l’incontesté « King of NY »-, il choisit le rapper à succès de l’écurie Murder Inc. d’Irv Gotti, Ja Rule, qu’il attaque avec un dis classique sur Your life on the line, au refrain limpide « You scream Murder ! (I don’t believe you) ». Sauf que Fifty ne s’arrête pas là. Tout d’abord, son beef avec Ja Rule dégénére assez rapidement en vraie querelle de rue. Croisant un jour à Atlanta le rapper entouré de sa cour, il lui fait ravaler ses airs arrogants en lui flanquant un coup de poing dans la gueule ; quelque temps plus tard, c’est lui qui prend un coup de couteau sans gravité dans un studio new-yorkais, partagé par hasard avec Ja Rule et son crew. Les gens de CBS, qui doivent sortir son premier album en juillet 2000, commencent alors à devenir nerveux. Surtout que, si l’on en croit From pieces to weight, il s’est entre temps remis à dealer, parce que le rap ne lui rapporte pas assez ; ou, plus exactement, parce que son succès dans le rap n’est pour le moment qu’un succès artistique : « Qu’est-ce qu’on aurait pensé si alors que j’avais le single ayant le plus de succès dans la rue j’avais continué à rouler dans une caisse pourrie ? ». Aussi est-ce à l’arrière d’une bagnole qui n’a rien de pourri que, le 24 mai 2000, Curtis Jackson, troisième du nom, prend neuf balles dans le corps. Est-ce à cause d’une histoire de rue, comme il l’affirme dans son livre, ou à cause de sa querelle avec Murder Inc. ? Peu importe : s’il ne perd pas la vie, il perd son contrat avec CBS, qui a annulé la sortie de son disque dès que la nouvelle de l’attentat leur est parvenue.

2. Un black face jouant au Nègre pour les Blancs

Mais le revoilà. A la force du poignet, en multipliant les freestyles énervés pour les Djs maîtres du marché parallèle des mixtapes (à commencer par Fuck you, doigt d’honneur levé bien haut à l’intention de ses agresseurs), et en en sortant lui-même, comme la prémonitoire 50 Cent is the future, où il pose en compagnie de ses potes (et futurs stars du label G-Unit) Lloyd Banks et Tony Yayo. Sauf que, pour tout le monde, désormais, il est « ah ouais, 50 Cent, le mec qui s’est fait tirer dessus ». Ce qui fait que les grands labels ne veulent dans un premier temps à aucun prix le toucher, que sa cote de crédibilité grimpe en flèche auprès des amateurs de « gangsta-rap », qui n’aiment rien tant que ressentir le frisson de la réalité dans leurs contes de fée gangsta (comme disait Ice Cube). Faut-il s’étonner, dans ces conditions, que ce soient les deux artistes hip-hop qui ont certainement le plus joué, chacun à leur manière, avec les miroirs de la réalité et du fantasme qui, finalement, le récupèrent sur leur label -Dr. Dre, l’ex-NWA, fondateur de Death Row et mentor de Snoop Dogg, et Eminem, l’Elvis auto-fictionnel de sa génération ? Et faut-il s’étonner que, lors de la sortie de Get rich or die tryin’, le grand public soit abreuvé de la légende noire du gangsta-rapper 50 Cent -il a pris neuf balles dans le corps ! il ne sort plus qu’avec son gilet pare-balles ! il veut dépouiller tout le monde ! avant il était dealer ! il a frappé Ja Rule ! etc. ? N’est-ce pas déjà comme cela que, dix ans plus tôt, un autre nouveau venu protégé de Dr. Dre, Snoop Doggy Dogg, a explosé tous les compteurs de vente lors de la sortie de son premier album, Doggystyle (il était alors accusé de meurtre) ? Le résultat ne se fait pas attendre, qui voit Get rich or die tryin’ pulvériser le record de Doggystyle, en se vendant à près de 872 000 unités la semaine de sa sortie. La machine 50 Cent est en marche et rien, depuis, n’est venu l’arrêter. Depuis ce retour triomphal, il est en effet devenu chef de crew et patron de label (sous la bannière G-Unit, pour Gorillaz-unit, un nom que lui inspire le groupe cartoon de Damon Albarn (!), nous apprend From pieces to weight), un entrepreneur de street-wear, un marchand de boisson vitaminée, une publicité Reebok, un héros de jeu vidéo, un acteur (du moins, d’après MTV Films, qui vient de lui offrir un long-métrage hagiographique).
Et, même si son deuxième album officiel, The Massacre, s’est moins vendu que Get rich or die tryin’ en 2005, il est parvenu à égaler cette même année le record que détenaient les Beatles depuis 1964, en classant quatre singles en même temps dans les dix premières places du Hot 100 du Billboard. Tout cela sans que ne cessent de résonner ces neuf impacts de balles de mai 2000, puisqu’ils forment la bande-son de la publicité télévisée « I am what I am » que Reebok a produit avec lui en 2004. Par ailleurs, aujourd’hui, alors que Fifty prétend conquérir Hollywood comme tant d’autres rappers avant lui, c’est encore sur des impacts de balles, et sur son corps gisant dans son sang sur l’asphalte new-yorkais, que s’ouvre Get rich or die tryin’, le film. Comme si le succès de 50 Cent était indéfectiblement lié à son image de voyou, comme si ses neuf cicatrices étaient à la source de son talent. Comme si un artiste Noir n’avait d’autre solution pour égaler les Beatles dans l’Amérique des années 00 que de jouer au gangsta. Pour beaucoup en effet, le succès populaire de 50 Cent -c’est-à-dire son cross-over massif vers la jeunesse Blanche- est une nouvelle manifestation de cette maladie de la musique Noire qui depuis la fin des années 1980 a vu les messages positifs de la soul et du funk transformés en provocations machistes, violentes et suicidaires, derrière les NWA et 2 Live Crew. Et qui a vu, dans les hit-parades, l’homme Noir passer brutalement du prêcheur à la James Brown ou du crooner à la Luther Vandross au thug nigga façon 2Pac ou au maquereau façon « Bigg » Snoop Dogg. Et nombre de commentateurs de se lamenter sur ce retour du minstrel en habits neufs, ces pantomimes grotesques où des Blancs le visage teint au cirage (« black face ») singent les gestes et les attitudes de ces êtres si fascinants et si menaçants, les Noirs. 50 Cent n’est-il pas celui qui a mis à la mode des fringues frappées de l’inscription Gorillaz, portées par de musculeux jeunes hommes Noirs ? C’est le discours, éprouvé par près de vingt ans de répétition, d’une bonne partie des contempteurs « progressistes » du rap. Mais c’est aussi une critique que développent nombre d’authentiques amateurs de cette musique, choqués par le cynisme affiché de 50 Cent ou désolés de voir les artistes les plus exigeants remisés dans les marges de plus en plus underground, et regrettant le temps béni où Public Enemy, A Tribe Called Quest ou les Brand Nubian développent un hip-hop complexe et subtil. Et de fait, lorsque l’on aime cette culture, il est difficile de ne pas s’associer à ces regrets. Parce qu’il est difficile de soutenir sérieusement que, en tant que rapper, 50 Cent peut rivaliser avec de véritables maîtres du micro tels que KRS-One, Rakim ou Nas (sa dernière tête de Turc sur Piggy bank) ou, en tant que lyriciste, avec ces titans de la geste gangsta que sont Notorious BIG ou Scarface. Et de le voir désormais protecteur de meilleurs que lui, comme les prodiges de la thug music Mobb Deep et MOP, ne peut que faire enrager les puristes soudain dépossédés de leurs héros. Sauf que s’arrêter là ne serait pas comprendre ce qui fait le succès musical de Fifty. Parce que ce succès, par son ampleur et sa durée, ne repose en réalité à titre principal ni sur ses capacités de rapper, ni sur son aura sulfureuse. Ce que l’on va démontrer.

3. Un bouffon qui ridiculise le rap

Une première chose est sûre : 50 Cent ne sait pas rapper ; ou, plus exactement, il ne savait pas rapper lorsqu’il a rencontré Jam Master Jay au milieu des années 1990. C’est en effet l’ex-Dj des Run-DMC qui le premier l’a tiré de la rue pour lui ouvrir les portes de son studio, après qu’un ami commun lui a présenté ce jeune gars de 21 ans qui roulait alros en Benz et voulait « sortir du Jeu ». Jay est séduit par l’assurance et la grande gueule de Fifty qui, pourtant, de son propre aveu, n’a alors jamais écrit une rime (au même âge, 2Pac avait déjà écrit des centaines de poèmes, et allait enregistrer son deuxième album). Ce qui s’entend dans la démo qu’il lui donne, une longue suite de propos de rue débités sans s’arrêter « du début à la fin du beat (…), sans structure, sans concept, sans rien », selon le principal intéressé. Avec le temps et la pratique, l’apprenti-rapper s’améliore peu à peu. Il apprend à construire un morceau, à respecter les mesures, à écrire ses rimes en fonction de cette structure immuable. Mais, s’il a gagné en technicité, il perd en fluidité depuis son attentat, qui l’a laissé avec cette élocution traînante et éraillée qui est aujourd’hui sa marque de fabrique, et qui l’éloigne encore un peu plus de la souplesse insolente des meilleurs Mcs. S’il n’est qu’un rapper passable, sait-il au moins écrire, alors ? Mesuré à l’aune de ceux qu’il a remplacés au sommet du hip-hop américain -c’est-à-dire sans même aller chercher les grands anciens du Golden Age-, il est évident qu’il ne fait guère le poids : ses petites histoires de plaisir, de fric et de mort sont incomparablement moins marquantes que les meilleurs hymnes ghetto de Jaÿ-Z, et incomparablement moins dérangeantes que les imprécations hallucinées d’Eminem. La plupart du temps, ses lyrics sentent la figure imposée, le SMIC gangsta-beyatches-Hennessy, qu’ils ne transcendent pas comme un Biggie ou un Scarface savaient le faire. A l’exception des morceaux où, réenfilant la panoplie du matamore de How to rob, Fifty défie une nouvelle fois ses concurrents : là, par exemple sur Piggy bank de The Massacre, il retrouve cette rage abrasive qui impressionnait tant à l’époque où il écumait toutes les mixtapes de NY.
En tant que rapper, c’est clairement sur ce format, le free-style décontracté dans la forme et énervé sur le fond, qu’il se montre le meilleur. Ce qu’illustre l’un des rares moments vraiment signifiants du film Get rich or die tryin’, lorsqu’on le voit répondre au micro aux intimidations de son ex-boss. C’est ainsi qu’il a hier bâtit sa street-credibility, c’est ainsi qu’il la préserve aujourd’hui, plus calculateur que jamais (comme le montre sa brouille soigneusement orchestrée avec son ex-poulain Westcoast, The Game, dont l’album menaçait de faire de l’ombre à son propre Massacre). Mais ce n’est de cette manière qu’il est devenu une star des hit-parades en 2003, et qu’il l’est resté depuis. Ce n’est même pas en posant en gilet pare-balles en concert et neuf coups de feu en bande originale ; s’il est certain que cette image de superthug l’a aidé à se hisser jusqu’au sommet, elle ne peut à elle seule l’y maintenir -sinon, il y a longtemps que C-Murder ou Shyne, actuellement incarcérés pour des crimes autrement plus sérieux que ceux pour lesquels Fifty avait été arrêté dans son jeune temps, seraient les vrais patrons du hip-hop US. Si 50 Cent est ce qu’il est aujourd’hui, ce n’est pas parce qu’il est dur, c’est parce qu’il est doux. Doux comme un refrain que l’on fredonne ; doux comme une chanson entendue un matin à la radio ; doux comme une mélodie murmurée. Doux comme Window shopper, doux comme Candy shop, doux comme In da club. Tous ces morceaux sont façonnés sur le même moule : des paroles relativement simples, sans fioritures ni profondeur, qui ne sont là que parce qu’il le faut bien -en d’autres termes : instrumentales-, une musique minimaliste, à la pulsation lente et lascive et un refrain de quelques mots que 50 Cent marmonne en passant imperceptiblement de la scansion du rap à la mélodie de la chanson. Aucun de ces morceaux ne peut véritablement être assimilé à ces mélanges sucrés rap-R&B par lesquels tant de rappers ont su s’infiltrer dans les charts, au grand dam des gardiens du temple hip-hop ; et lorsque Fifty se prête à ce genre d’exercice, avec So amazing, par exemple, il est aussi chiant que les autres. Ce n’est pas non plus le racket émotionnel des grandes voix du passé passées à la moulinette post-moderne façon Kanye West, puisque les productions de Fifty sont rarement construites autour de samples évidents. C’est autre chose, absolument typique de la manière du troisième 50 Cent, non plus le dealer-rapper approximatif, ni l’enragé des mixtapes, mais la superstar pop d’après le cross-over. Et encore une fois, on retrouve Dr. Dre. Car si ce style relâché est aujourd’hui caractéristique de 50 Cent, le rapper de Jamaica n’est pas le premier à avoir appliqué cette recette avec profit. Ralentir le rap, y insérer délicatement la mélodie, faire des paroles un ornement de la musique, destiné à lui conserver cet aspect canaille sans lequel on ne saurait gagner les adolescents, mais sans le rendre trop apparent pour ne pas faire fuir leur mère, et leur petite sœur : tout cela ne vous rappelle rien ? Lorsqu’il a inventé le G-Funk entouré de Warren G, Nate Dogg, Snoop, Dr. Dre n’a rien fait d’autre ; et déjà, à l’époque, les plus noires histoires de meurtres ou de baise se retrouvent fredonnées par des millions de bouches innocentes comme ce qu’elles étaient effectivement : de formidables chansons pop, légères et mélodiques (Regulate, Nuthin’ but A G Thang, Doggy Dogg world). Get rich or die tryin’, le film, échoue complètement à montrer la naissance de ce style, préférant jouer au polar ; et ce n’est pas étonnant, puisqu’il n’y a rien de plus difficile à représenter que la naissance d’un style musical. Dans From pieces to weight, Fifty parvient à en dire un tout petit peu plus, signe qu’il a compris l’importance de ce moment : « Sur In da club, quand je rappais « My flow, my show brought me the dough, that brought me all my fancy things », je ne faisais que le dire. Alors Dre dit : « Fais-le un peu plus doux [souligné par 50 Cent] ». Alors je l’ai fait en chantonnant à moitié, comme dans un pont. Je ne savais pas ce qui allait sortir de tout ça, mais lui savait qu’il avait entendu un truc qui n’était pas dans le morceau jusqu’alors ». Et voilà, ce n’était pas plus difficile que cela. Ainsi naît un hit mondial (certes, il lui fallait également les meilleurs beats du monde, mais ceci est une autre histoire). Ce n’est plus du rap, disent les puristes ; c’est de la musique commerciale, du R&B, n’importe quoi, peu importe, mais autre chose ; et ils ont sans doute raison. Mais là où ils ont tort, c’est que tous ces titres –In da club, PIMP, Just a lil bit…- sont aussi de putain de grands morceaux pop ; nés de cette alchimie éphémère qui agrège l’air du temps et le talent visionnaires de quelques sorciers du son ; ni plus, ni moins. Tout le reste (les neuf balles, les cicatrices, les beefs, les muscles gonflés d’anabolisants…) n’est que du cinéma. Et du cinéma pas très intéressant, comme le démontre aujourd’hui Get rich or die tryin’, le film.

Lire notre chronique du film Get rich or die tryin’.

A lire :
– 50 Cent (avec Kris Ex), From pieces to weight (MTV Books, 2005)

A écouter :
Guess who’s back (Full Clip, 2002) : bonne compilation des années mixtapes ; manque juste How to rob
Get rich or die tryin’ (Aftermath, 2003) : la confrontation avec Eminem et Dr. Dre
The Massacre (G-Unit, 2005) : ultra-pop, et à consommer comme tel

A jouer :
Bulletproof