C’est la deuxième signature de Flammarion pour cette rentrée sans éclat et, peut-être, un des projets littéraires les plus ambitieux qu’ait choisi de relever Vincent Ravalec : L’Effacement progressif des consignes de sécurité inaugure un cycle romanesque de douze livres à paraître, chacun ayant pour périmètre le Jeu (décliné sur plusieurs thèmes). Ici, l’auteur de Cantique de la racaille a décidé de nous faire jouer à l’Art, en compagnie de Louis Dieutre, ancien détenu reconverti dans le mécénat artistique. Lors d’un réveillon au cours duquel les employés doivent se livrer à un jeu artistique (chacun doit représenter son sujet du mieux qu’il peut ; essayez, par exemple, de vous débrouiller avec le thème : « Anus et compassion »…) Dieutre sombre littéralement de l’autre coté de la rationalité. Nous le suivons, pendant les grandes tempêtes, dériver sur l’autoroute puis échouer à Archignac -qui est un centre psychiatrique supervisé par l’étrange docteur Aïm- puis se faire prendre en main par Ronald, un nain doté d’une libido, d’une répartie et de pouvoirs tout bonnement hallucinants et qui de loin est le personnage le plus captivant du roman.

Sur presque sept cents pages, Louis hallucine d’ailleurs énormément : qui tient les rênes de son périple et, surtout, quelle place occupe-t-il à l’intérieur de ce Jeu de conscience qui a pris son existence et lui a ouvert, via le chamanisme ou la prise de cocktails moléculaires, toutes les autres portes de la réalité ? Nous laisserons le dénouement à la charge du lecteur. Et celui-ci, en cette année morose, aura eu raison de s’acquitter de ce très épais roman que Ravalec (motivé comme jamais, pressé par le temps ou bien chargé au peyotl ?) semble parfois avoir dicté d’une traite tant le débit est impressionnant : la ponctuation est revue à la baisse et les dialogues -sans doute pour donner à l’accélération des scènes toute sa crédibilité- sont un peu trop souvent fondus dans la masse hystérique d’un texte sur lequel il est bon, jusqu’à la fin, de ne pas trop s’interroger. L’ampleur d’une telle entreprise -c’est le sentiment qui s’impose au fil des pages- a du dépasser tout le monde car c’est finalement la puissance humoristique plus que celle des mondes parallèles qui vient l’emporter. Pour donner un peu de théorie à son projet et l’asseoir sur des bases sérieuses, Vincent Ravalec a décidé de publier simultanément un manifeste sur la magie. Rendez-vous donc en 2024 ; à moins que de participants au jeu il ne reste plus que l’auteur lui même.