Il y a chez nos écrivains une manie qui consiste à nommer « romans » des livres qui sont des recueils de nouvelles. La couverture de Bravo, de Régis Jauffret, indiquait « roman », ce qui n’a pas empêché l’Académie Goncourt de le mettre en compétition dans la catégorie « nouvelles ». Tristan Garcia fait aujourd’hui le même coup que jadis Bayon avec ses Pays immobiles : son livre, 7, se présente comme un assemblage de « romans », au pluriel. N’eût été la typographie Gallimard, on pourrait d’ailleurs croire que le titre est 7 romans, et non 7. Alors, pourquoi romans plutôt que nouvelles ? Mystère. La quatrième de couverture noie le poisson : « Sept récits indépendants dont le lecteur découvrira au fil des pages qu’ils sont étroitement liés ». Mais c’est toujours le cas dans les recueils de nouvelles ! Il faudrait mener une enquête. Quoi qu’il en soit, ce gros tome de près de 600 pages témoigne une fois de plus de l’extraordinaire prolixité de Tristan Garcia, l’un des jeunes écrivains les plus brillants de sa génération (il a 35 ans), surgi voici sept ans avec La Meilleure part des hommes et qui fonce depuis dans toutes les directions – fiction réaliste, science-fiction, essais (les séries TV, l’homme et l’animal), philosophie (un traité d’ontologie, Forme et objet), etc. Et c’est, sans surprise, l’un des livres les plus passionnants de ces derniers temps.

Garcia actualise de vieux thèmes fantastiques en les trempant dans la réalité contemporaine, la technoscience et la société du spectacle. Thème de l’élixir de jouvence, avec une drogue qui rajeunit l’esprit. Variation sur Dorian Gray, avec un top-model qui embellit à proportion de l’enlaidissement de son alter ego. Variation sur le Voyage d’hiver de Perec, avec un enregistrement ancien qui préfigure la musique pop. Visions et utopies politiques, avec ce texte sur la France d’après la Révolution de 1973 ( !), ou cet autre sur la dislocation de la Nation en communautés isolées dans des bulles… L’appétit de Garcia pour la spéculation et les systèmes logiques (il pousse les hypothèses, dévide les fils) se mélange à la jubilation d’inventer des scénarios pour générer des petits récits complets, à la fois compacts et compliqués. Finalement, l’appellation « romans » n’est peut-être pas si fausse… On retrouve aussi le goût de l’auteur pour les marginaux, les doux-dingues, les anarchistes et les groupes militants, comme dans son précédent roman, Faber. Les sept « romans » de 7 ne sont pas d’un niveau égal, certains s’effilochent, ou prennent des allures de labyrinthe. Bizarrement, c’est quand Garcia les condense au maximum qu’il convainc le mieux, comme si la forme brève convenait idéalement à ces machines littéraires à haute densité. Une réussite, en tous cas, comme il se doit pour un tel surdoué.