Tom Sharpe ? Une sorte de concentré d’Angleterre éternelle, héritier de tout ce que la Grande-Bretagne a pu compter de sujets dérangés et, partant, congénitalement prédisposés à ces productions intellectuelles plus ou moins délirantes que nous autres continentaux jalousons tant à nos voisins insulaires. Tom Sharpe est affreusement cynique, horriblement vulgaire, souvent porté sur l’absurde et incapable de trouver le juste milieu, à quel que sujet que ce soit : ses nombreux romans lui sont systématiquement l’occasion de verser dans un burlesque volontiers exubérant, excessif jusqu’à l’incroyable mais d’une efficacité incontestable.
Né quelques mois avant le krach de 1929 (personne n’y a cependant vu de rapport de cause à effet) sous un heureux patronyme (sharp signifie « tranchant, futé »), le futur écrivain se voit dispenser l’enseignement renommé d’un collège de Cambridge (on y revient) avant de rejoindre d’abord les marines, ensuite l’Afrique du Sud (nous sommes en 1951). Expulsé dix ans plus tard en tant qu’auteur et metteur en scène d’une pièce anti-apartheid (il y reviendra par la plume dans Mêlée ouverte au Zoulouland et Outrage public à la pudeur), il repart enseigner l’histoire à Cambridge avant d’entamer une glorieuse carrière d’auteur satirique, laquelle nous amène au présent roman. Avec Porterhouse, Sharpe nous parlait de la vie délirante de ce collège de Cambridge : Panique à Porterhouse nous y ramène dans un polar en huis clos truculent où, dans un registre inchangé, il accumule les tableaux extravagants, conversations surréalistes ou quiproquos insolubles entre des personnages gaiement caricaturés. Tandis que la veuve d’un professeur calamiteux mystérieusement décédé engage le docteur Purefoy Osbert pour mener l’enquête, l’invraisemblable équipe pédagogique du collège (doyen, maître, lecteur, économe, chef tuteur) est confrontée aux opérations malsaines d’une multinationale louche versée dans la télévision et le trafic de stupéfiants. On imagine sans peine ce que l’habile Tom Sharpe peut faire à partir d’un tel face-à-face (436 pages sans le moindre temps mort), tirant à fond sur ses ficelles préférées -protagonistes loufoques, dialogues d’une grossièreté sans bornes et parfois relevés d’une délicieuse métaphore, situations à la limite de la crédibilité, épices de rigueur (comprenez : du sexe et beaucoup d’alcool). La caricature, évidemment, ouvre la porte à la critique sociale : la charge était anti-reaganienne dans Wilt 1, anti-thatchérienne dans Fumiers et Cie ; elle est plus diffuse dans Panique à Porterhouse, toujours proche de l’anti-néolibéralisme triomphant néanmoins, et assénée au travers du regard farfelu de ces vieux « Dons » de Porterhouse, reclus dans leur collège séculaire, bien à l’abri du monde moderne. C’est peut-être aller un peu vite que d’invoquer l’ombre tutélaire des Monty Pythons ou celle d’une Jane Austen défoncée à l’acide pour parler des romans de Tom Sharpe, mais il faut bien reconnaître que, lâché dans l’Angleterre d’aujourd’hui, l’écrivain est capable de tout. Avis aux amateurs.