La dimension mélodramatique des romans de Timothy Findley a, dans une époque où l’on préfère cacher ses larmes, quelque chose d’étrangement désuet : le Canadien est aujourd’hui l’un des rares écrivains capables d’une telle maîtrise de l’émotion, d’une justesse étonnante et d’un réalisme touchant. On l’aura compris, Nos adieux est un roman qui marque. Le couple que forment Mi et Graeme, jeunes mariés de ces joyeuses années 30, est de ceux que l’on prend comme modèle : un sérieux jeune homme d’une bonne famille de l’Ontario épouse une jeune femme radieuse et lui donne deux enfants, Matthew, presque 9 ans, et sa petite sœur Bonnie, 5 ans. La famille Forbes revient de vacances, qu’elle va raconter à ses amis : elle rayonne. Le 9 septembre 1939, le Canada entre en guerre : Graeme et quelques-uns de ses compagnons s’engagent dans les forces armées, laissant femme et enfants loin derrière lui. En 50 pages, Findley fait voler en éclats le tableau idyllique qu’il avait dépeint avec tant de soin : il lui en reste 300 pour décrire l’éclatement progressif d’une famille, l’errance des uns et la déchéance des autres, le désespoir de Mi qui grandit au fur et à mesure que Graeme, dans son lointain bureau administratif, se perd dans le cynisme, la lâcheté et la boisson. De ce jeune homme sans histoire, il fait un personnage à la Faulkner, prisonnier d’une logique nihiliste qu’il ne contrôle pas, perdant peu à peu tout repère : il boit puis se sèvre et boit à nouveau, est rétrogradé puis réintégré, il trompe sa femme. Celle-ci, à court d’argent et d’espoir, dilapide les possessions familiales et part habiter chez sa belle-mère. Puis ailleurs. Quant à Matthew (Bonnie meurt à 7 ans dans un accident), il voit se désagréger peu à peu le socle sur lequel il aurait dû construire sa vie, une vie brisée désormais -comme toujours chez Timothy Findley. La guerre est au front, mais elle est aussi dans les têtes -entre Mi et Graeme, entre Graeme et Graeme même.

Ce saisissant roman d’une guerre subie par ceux qui ne se battent pas est raconté par épisodes, comme une succession de tableaux peints à différentes dates (du 3 septembre 1939 au 16 août 1942) et où la couleur dominante passe du blanc au noir, imperceptiblement mais inexorablement ; avec beaucoup d’habileté, Findley alterne les points de vue autour de celui -le principal- de Matthew, enfant perdu et résigné dont il donne un portrait d’une extraordinaire profondeur. Un garçon triste, une fillette morte, une femme délaissée, un mari qui s’éloigne et un aviateur prêt à tout pour tutoyer les cieux : l’univers de Findley n’est pas de ceux qu’on oublie facilement. Nos adieux, comme un film d’Egoyan, est un livre douloureux et majestueux sur l’abandon, le renoncement et la peine. La guerre comme on ne la montre presque jamais. Aussi horrible que celle que l’on montre.