T.C. Boyle est un fantastique nouvelliste et ses Histoires cruelles – après Histoires sans héros, Histoires de mort, Histoires d’amour ou Histoires bizarres – viennent une fois encore le confirmer. Si la dimension « cruelle » est rarement absente de ses textes, elle est ici érigée au titre d’incontournable. Piquante, acerbe, ironique parfois, elle s’auto-justifie, systématiquement, et vient s’immiscer dans les vies de protagonistes qui souvent s’en passeraient volontiers, mais qui n’ont rien fait pour l’éviter. Boyle est un miniaturiste des vies ordinaires ; surtout, il excelle à poser le doigt sur ce qui ne tourne pas rond, au pays de l’oncle Sam, sur ce trop plein de civilisation policée qui ne parvient pas à exclure l’accident, voire qui le provoque, à force de vouloir tout contrôler.

Cynologie à ce titre est remarquable, avec cette femme qui se prend pour un chien, vit comme un chien, cherche à ressentir comme un chien, et fait exploser – inévitablement – le cadre ordonné dans lequel vivent ses voisins. Et que dire de Jubilation ? Un lotissement technicolor, vendu clefs en main, reconstitué de toutes pièce au beau milieu des Everglades, brillant, immaculé, rempli des cris joyeux d’enfants qu’on pourrait croire choisis sur catalogue, resserré autour de la pièce d’eau autour de laquelle joggeurs et promeneurs de chiens en laisse viennent savourer la lumière du soir… En oubliant les caïmans, bêtes cruelles s’il en est, et surtout affamées, qu’il a bien fallu mettre quelque part avant de vendre les lots aseptisés, cadeaux empoisonnés. Boyle s’amuse, condamne ses personnages à l’insomnie volontaire longue durée ( record à battre : 12 jours, soit 288 heures de veille, sans sombrer dans la folie), introduit dans un appartement le résultat d’un pari stupide (un serval, félin particulièrement hargneux et sauvage, qui ne partira pas sans avoir tout ravagé), fait germer le doute chez des habitants de la pampa, confrontés aux allégations d’un scientifiques qui développe, sur un ton convaincant, les conséquences néfaste sur le vivant du trou dans la couche d’ozone. Les relations amoureuses ne sont pas en reste : ainsi de ce couple en devenir qui part sans équipement pour une randonnée et se retrouve, coincé par la neige, à des kilomètres de tout lieu habité. Ou de ce barman qui joue à l’homme, sans comprendre qu’il a laissé filer les rares choses auxquelles il tenait. Voyez aussi ce loser clochardisé, qui finit par revenir chez lui – chez celle qui l’a jeté – en rampant. Sans parler de Balayée par le vent et de son héros Robbie Baikie, brave garçon de l’île de Unst, quelque part au nord de l’Ecosse, lâchant ses moutons pour une ornithologue américaine.

Mais c’est peut-être dans la nouvelle intitulée Chicxulub que Boyle atteint des sommets. Il fait nuit. A la maison, un couple profite de l’absence de sa fille pour boire un verre, fumer un joint, plus si affinités. Le téléphone sonne. Chicxulub, c’est cet astéroïde qui, il y a 65 millions d’années, a éradiqué les dinosaures. Chicxulub, c’est aussi, d’une certaine manière, cette infirmière qui demande à ces parents de venir, en urgence, car il y a eu un accident. C’est le choc d’un corps glacé sous un drap, à la morgue. Et toute la science consommée de Boyle pour retourner une situation. Ce qui lui fait dire que ses histoires ont un pouvoir réel et qu’il peut donc encore et toujours continuer à écrire.