Zagdanski, dans ce recueil de nouvelles, met en scène différents types de relations amoureuses et sexuelles en déclinant des possibilités limites ou singulières : un écrivain érotomane qui soumet la narratrice à des rites érotiques retardant au maximum le coït concret (« Jouissance du temps »), l’absurde et comique confrontation entre Don Quichotte et une jeune pouffe piercée causant texto (« DQ2005 »), l’hermaphrodisme mystique et interlope d’un travelo brésilien du bois de Boulogne (« Rose et toi »), le conte fantastique d’un transsexuel célèbre accouchant d’un ange (« La Can »), les visions kaléidoscopiques et picturales offertes par le sexe autonome d’une jeune femme séduite dans un musée (« La matrice d’art »), le viol et l’avortement d’une violoncelliste adultérine (« Tristesse d’été »), la rencontre érotique avec une américaine en manque à Venise sous le signe d’Hemingway (« Détachement »), une lettre de non-rupture pour un amour mort-né (« Amour mort-né ») et, au final, la prosopopée (grotesque) du célèbre tableau de Courbet (« Prosopopée de L’Origine du monde« ) ; on trouve aussi là-dedans un texte maladroit et piteusement emphatique sur le nom de Dieu et son rapport à l’écriture, un délire assez inepte sur des écrivains « équarrisseurs » ayant mal digéré Mallarmé et transformant leurs phrases au moyen d’un code, ainsi qu’un faible « Florilège étoilé » sur la poétique des constellations.

Hormis ces trois derniers textes donc, qui sont parmi les plus ratés, la teneur des nouvelles est assez similaire : érotisme sophistiqué ou étrange nimbé de références à la littérature et à la peinture, mise en scène quasi systématique et assez narcissique de l’ » Ecrivain  » ayant la plupart du temps la langue bien pendue et la queue bien ferme. Libertin, cultivé, un peu maniaque, sûr de lui : rien que de très suranné, donc, à peine lifté par quelques considérations très contemporaines sur la transsexualité et les portables. Le costume a déjà tellement été porté (et souvent de manière plus seyante) qu’il est difficile de l’endosser avec classe. Deux nouvelles, « Rose et toi » et « Amour mort-né », surnagent malgré tout. Leur construction efficace gaine les meilleures possibilités stylistiques de l’auteur, lorsqu’il assume la décharge lyrique et confessionnelle et laisse affleurer une vraie sensibilité. Libéré de ses automatismes sollersiens, Zagdanski devient convaincant. Sans quoi il a l’air de se perdre dans des provocations usées, épices affadies et singeries de littérateur, tout en encombrant son écriture de calembours faciles et d’allitérations grossières. Ses phrases les plus réussies et ses meilleures idées sont noyées sous un tombereau de scories et de lieux communs, ses sujets, souvent originaux, virent immanquablement au poussif ou au cliché. Zagdanski n’a pas peur de passer son temps à citer les meilleurs stylistes (Mallarmé, Céline, Joyce, Faulkner, Nabokov…) alors que ceux-ci ombrent cruellement son talent plutôt qu’ils n’illuminent ses textes de clins d’yeux complices. Bref, un recueil qui n’a pas les moyens de ses prétentions. A quelques trop rares exceptions.