Bagdad, années 30. Ce récit à tiroirs et rebondissements, véritable tableau de l’Irak et des enjeux moyen-orientaux à la veille de la Seconde Guerre Mondiale, permet à Sherko Fatah de revenir sur l’histoire de la région, et ramène à des enjeux parfaitement contemporains. Bagdad sous protectorat britannique, ses communautés musulmanes, juives, chrétiennes qui cohabitent ; des tensions diffuses, une très grande misère, la légende, Lawrence d’Arabie ; et la montée, loin du côté de l’Europe, d’un Reich qui diffuse ses idées, promettant son soutien à la libération des peuples…

Le petit voleur de Sherko Fatah s’appelle Anouar. Le hasard, des envies mal maîtrisées, le conduiront de Bagdad à Berlin en guerre et jusqu’à Stalingrad, avant un retour au pays où son passé le rattrapera. Un médecin allemand, des souvenirs trop nets : il est question de liberté et d’embrigadement, de choix et de contraintes, de peurs et d’envie, le tout sur fond d’histoires d’amour et d’amitié impossibles. Fatah croise histoire, romanesque, aventure dans un récit tristement universel, une histoire de trahison, d’alliances, d’espoir, d’opportunisme et de résignation.

Il joue des contrastes : Bagdad endormie, baignée de lumière, ses murs d’escalade pour Anouar apprenti voleur, les bords de fleuve ; Berlin, noire et blanche, glaciale, nocturne, terrifiante. Des Chemises noires irakiennes à un rôle de garde du corps esclave du Grand Mufti de Jérusalem, « prince arabe » accueilli dans la capitale allemande, Anouar perd vite la maîtrise de son destin, balloté d’un ordre à l’autre, suiveur, exécutant, jusqu’à ces semaines comme membre de l’Unité musulmane orientale, très loin, trop loin de chez lui. La défaite allemande signe son bon de retour pour l’Irak, où il devient une figure discrète, efficace, silencieuse, mais incapable d’oublier.

Un voleur de Bagdad possède du souffle, pour conter, mais également pour reprendre, posément, ces moments où nationalisme arabe et antisémitisme se nouent, ces perspectives brouillées qui conduisent un Grand Mufti vers une résidence berlinoise, ou l’improbable destin des unités SS musulmanes. Sherko Fatah raconte à la fois l’intime, le secret, et l’Histoire. Le résultat est à la hauteur de son ambition.

 

Traduit de l’allemand par Olivier Mannoni.