Quand le mari de Rosa Montero meurt après vingt ans de vie commune et qu’on lui propose de préfacer le journal de Marie Curie, elle accepte, créant ainsi un lien entre la figure publique de Marie et sa propre histoire. Exorciser par le récit, raconter, se raconter, raconter l’autre : « Utiliser sa vie comme un mètre étalon pour comprendre la mienne ». Mais s’il s’agit bien d’une littérature du deuil, la forme retenue est bien particulière. « Ce livre n’est pas un livre sur la mort. En réalité, je ne sais pas bien ce qu’il est, ou ce qu’il sera » écrit Rosa Montero avant de se livrer, via une biographie (très simplifiée) et des observations sociétales, féministes, culturelles ou anecdotiques, posées comme autant de jalons dont le but semble être de tenir à distance lecteur et souvenirs, quand ces derniers deviennent trop prégnants. Comme si l’auteur s’oubliait et se remettait en scène à la fois, l’intime étouffé par le public, la mise en abîme poussée, parfois outrée. A l’arrivée, cette Idée ridicule de ne plus jamais te revoir sonne étrangement, empêtrée dans ses élans, ses pudeurs, ses digressions, chaque thématique abordée étant soulignée (artificiellement) par un usage immodéré de hashtags : il y en a partout.

On n’apprend pas grand-chose sur Marie Curie qui hérite d’une place difficile, à la fois « sainte » et « image sacrée », « personnage hors norme et romantique qui semble plus grand que la vie ». Montero cherche à dire une nouvelle place de la femme (#Placedela Femme…) sans y parvenir. L’histoire de Curie, ses dépassements, son courage, sa folie lui servent de fil conducteur pour évoquer le rôle des femmes, épouses, mères, leur indépendance et dépendances, puis pour aborder le rapport à la mort. Il est question de deuil, de douleur et de dépassement, de reconstruction. Mais aussi de science, d’atome, d’Art, d’intimité, de couple, de culpabilité, de coïncidences, de Devoir, de l’importance des mots, du devoir de dire, tout ça en vrac. Trop peu pour une biographie, trop peu aussi pour un récit personnel : plutôt un fourre-tout composite, écrit simplement, faisant appel aux souvenirs pour s’installer ailleurs, laissant l’essentiel de côté : « La littérature, ou l’art en général, ne peut pas atteindre cet espace intérieur. » Et c’est dommage, parce qu’en définitive, c’est cet espace qui manque.

Traduit de l’espagnol par Myriam Chirousse.