« J’ai lu peu de romans aussi passionnants ces dernières années. Mantra est aussi celui qui m’a le plus fait rire, celui qui m’a semblé à la fois le plus habile et le plus voyou ». Ces lignes signées Roberto Bolaño pourraient dispenser d’en dire plus à propos de ce quatrième roman traduit de Rodrigo Fresán, d’autant qu’Alan Pauls en rajoute une couche dans sa préface -en matière de parrainages, on peut difficilement rêver mieux. Au départ, Mantra a été conçu pour intégrer la collection « Año 0 » des éditions Monadori -un écrivain, une ville ; Fresán, lui, a choisi Mexico. Mais plutôt que de faire de la capitale mexicaine le simple décor d’une intrigue qui aurait tout aussi bien pu se dérouler ailleurs, plutôt également que d’écrire un récit de voyage impressionniste comme il s’en est fait sur toutes les villes du monde (« Je crois que dans tout l’univers, rien n’est plus inutile qu’un guide de Mexico »), il s’est lancé dans une sorte de roman-monstre éclaté et délirant où l’âme et le corps de Mexico sont passés au scanner, auscultés sous tous leurs aspects, pris comme contexte et prétexte de trois panneaux bizarrement cousus l’un à l’autre. Dans le premier, peut-être le meilleur, un argentin se souvient de l’arrivée dans son école d’un jeune mexicain nommé Martín Mantra, lequel sidère ses camarades en se lançant dans une petite partie de roulette russe à la récréation -avec un vrai flingue chargé.

Rejeton d’acteurs de série télé, Mantra est une sorte de génie précoce versé dans la cinéphilie pure et dure et escorté par un ancien catcheur qui fait office de garde du corps ; le narrateur, qui perd peu à peu la mémoire en raison d’une tumeur incurable (« Il est possible que Mexico soit une tumeur géographique », précise Fresán en filant la métaphore médicale), se sent inexplicablement poussé à partir vers le Mexique, le pays de son ancien ami. Le second panneau est une exploration de Mexico à travers une myriade de paragraphes classés par ordre alphabétique, lisibles dans n’importe quel ordre et rédigés par un touriste français qui, étrangement, connaît lui aussi Martín Mantra. Au fil des entrées se croisent et se décroisent une multitude d’histoires, d’anecdotes, de films et de personnages, de Peckinpah à Kubrick en passant par Trotski, Lowry, Breton et Kerouac. Ce magma fascinant s’achève sur un dernier panneau science-fictionnesque où un troisième narrateur, robotique cette fois, se ballade dans les ruines d’un Mexico futuriste à la recherche de son père (clin d’oeil destroy, sans doute, à l’histoire du Pedro Páramo de Juan Rulfo, le roman mexicain culte du XXe siècle). Impossible de décrire plus avant cet Ovni labyrinthique où le sujet « initial », Mexico et son mythe, en génère une série d’autres tout en étant absorbé par eux. Les dimensions du livre (500 pages) et sa structure bizarroïde font qu’il est difficile de ne pas s’y perdre, et parfois de ne pas s’y ennuyer un peu ; l’incroyable richesse du jeu de renvois, de références et d’échos qu’on devine en dessous de sa partie émergée, comme une infrastructure invisible, invitent pourtant à la relire une deuxième, voire une troisième fois. Et ainsi de suite ? « J’ai découvert que Mantra était un roman-drogue, un roman qui me droguait pendant que je le lisais », confirme Alan Pauls. Gare à l’addiction.