Pas de temps à perdre est un titre trompeur. On s’attend à un roman pressé, tendu du début à la fin, à de la littérature énervée, à un truc pêchu plein de personnages hauts en couleur et batailleurs, revendicatif, à une intrigue survoltée, électrique, bref, au livre qu’on voudrait écrire. Oubliez le titre. C’est tout l’inverse. On en veut alors un peu au jeune Régis d’avoir déposé un titre aussi idéal rien que pour nous prendre à contre-pied. Car Pas de temps à perdre laisse au contraire le temps s’écouler en toute liberté avec un je-m’en-foutisme assumé. Gommé, le temps, passé à la trappe. Pas d’urgence. Un roman de la pause, du stand-by. De quoi s’agit-il ? D’une rencontre amoureuse et de son déroulement parfait. Ben est un jeune homme bien qui, en se promenant dans une ville qui bouge, rencontre une jeune fille bien qui s’appelle Fontaine. Ils mangent des pamplemousses ensemble, puis ne se quittent plus et emménagent dans une maison qui bouge. En fait, ils ne font presque rien. Ils boivent (beaucoup de « combats de cocktails » dans le roman), font l’amour (« Fontaine passa ses bras autour du cou de Ben et ses jambes autour de ses hanches. Ben mit ses mains sous les fesses de Fontaine et la souleva un peu. »), et puis rédigent des lettres sous le nom de « Robin des boîtes » pour que les gens arrêtent d’être tristes. D’accord, ça paraît un peu simplet. Ca l’est, pourquoi ne pas le dire, et en enlevant le mot « enculer » de la page 167, vous pourriez presque le lire à vos enfants, le soir avant de les border.

Alors pourquoi, quand on n’a pas d’enfants, a-t-on envie de le lire jusqu’au bout ? Parce que c’est rafraîchissant, que ça ne se prend pas au sérieux, parce qu’on ne peut pas cracher sur un roman où tout le monde s’aime et que parfois, nous aussi, on a envie de croire. C’est comme si une toile de Chagall s’était accouplée à un volume de la série Oui-Oui, sous les lambris cosy d’une bibliothèque rose pour adultes. « Pour la première fois de sa longue vie, l’air s’entendit. Il fit marche arrière et retourna vers Fontaine et Ben. L’air croyait rêver. Leurs vibrations, la musique de leurs êtres réunis appelait l’air, répondait à l’air, était l’air lui-même. L’air reconnut là ses enfants chéris. Emu, il les approcha doucement, les enveloppa et resta auprès d’eux pendant toute leur rencontre. » Voilà au moins une bonne bouffée de naïveté autoproclamée dans le paysage littéraire, ce qui nous change de la double postulation habituelle des premiers romans, le trash ou l’introspection douloureuse, et parfois même les deux. D’accord, ce n’est pas le roman du siècle, et d’accord, on le redit, c’est dommage d’avoir choisi un aussi beau titre pour laisser filer le temps comme ça.