Pierre Bourgeade est un type étonnant. Alors que sort dans les librairies son nouveau recueil de nouvelles « à la Bourgeade » (L’Argent), ce grand érotomane devant l’éternel publie en même temps un petit roman incroyablement sage et fort. Les mots sont plutôt aigres-doux, et les thèmes, risqués : peut-on tout pardonner ? Peut-on tout oublier ? Les Ames juives narre en effet le parcours de Rachel Blum, jeune fille ayant survécu à la rafle du Vel d’Hiv, cachée par des religieuses – sous le nom de Marie, évidemment. Celles-ci seraient sans doute un parfait symbole du Bien. Elles seraient l’Idée du Bien. A moins qu’elles n’aient aussi planqué une abjecte crapule à la Touvier ? Au-delà d’un étincelant portrait de femme, Pierre Bourgeade met le doigt là où ça fait mal avec une humanité et un regard véritablement bouleversants. Loin de tout manichéisme, il regarde, réfléchit sur les « petits arrangements avec la mémoire » et livre une vraie belle histoire (oui, oui, c’est bien l’auteur d’Eros mécanique !). Le dilemme n’aurait pu donner lieu qu’à une série de saynètes démonstratives et lourdingues, une longue accumulation d’arguments dialectiques pour émission de Paul Amar. Mais Bourgeade est un romancier. Un vrai. Un grand. Il s’attache à ces petits riens qui font la vie : voyez l’ironie de ce nom « Blum » signifiant « fleur » en allemand. « Fleur » comme un chrysanthème qu’on met sur une tombe. A ne pas oublier POUR ne pas oublier. Il nous offre par la même une petite leçon de terminologie : « comprendre » et « accepter » sont deux choses bien différentes… Enfin, l’auteur nous pose ces questions, encore aujourd’hui d’actualité : être juif, qu’est-ce que cela signifie ? Et être français ? A l’heure (soyons « polémiques » !) où certains s’obstinent à reconstituer le lieu de l’infilmable pour montrer ce qui a été, Bourgeade aborde le sujet avec pudeur et force. Sans pathos, ni rémission. Et à nous de s’interroger : ne serait-ce pas la meilleure solution de parler de l’indicible ?