Nul autre que Pier Paolo Pasolini n’a su donner à la littérature italienne autant d’odeurs, de cris, de lumières. Tristement célèbre par son assassinat en 1975, la France a tendance à ne retenir de son œuvre que la part cinématographique. Pourtant, quand bien même ses films sont incontournables dans l’histoire du cinéma contemporain, Pasolini ne s’est jamais envisagé autrement qu’en écrivain. Tous ses combats sont littéraires et s’il a fait du cinéma, c’est avec une naïveté et un amour qu’on ne retrouve pas chez ces cinégraphes. Avant tout, il est un poète. Un poète réaliste, qui a le don sublime de transformer tout ce qu’il touche en or. Est-ce par défi personnel ou parce qu’il ne s’est jamais estimé digne de connaître le repos ? Sa vie se déchire intimement, irrémédiablement. Aucun auteur n’a incarné avec une telle force, ce double mouvement de l’âme et du corps. Plus il s’élève, plus il s’abaisse.
Les Histoires de la cité de Dieu mettent en lumière des minutes perdues de bonheur ou de grâce que rien ne laissait présager. Suivant un ordre de création chronologique, on s’approche, au fur et à mesure de la lecture, d’un auteur plus introverti, qui se met lui aussi en scène, sans fard, sans aucun narcissisme, parce que la beauté est de plain-pied dans le réalisme, parce que dire les choses différemment, ce serait mentir et Pasolini ne sait pas mentir.
Les héros de cette Rome qu’il aime à en mourir, au point qu’il ne peut en envisager l’éloignement sans douleur, sont des enfants que rien ne sauve, si ce n’est un sourire quand on ne s’y attend pas, un mot qui en dit mille, une grâce peut-être providentielle. Ils sont menteurs, voleurs, lascars, mais ce que nous en montre Pasolini, touche à la beauté sublime des anges. Ce curieux mouvement de transcendance, on le retrouve dans cette interrogation cruciale : « Mais Rome, serait-elle la plus belle ville du monde si en même temps, elle n’en était pas la plus laide ? »