Ecoutons Jean Starobinski : « La clarté chez Philippe Jaccottet n’est jamais une facilité : elle supprime tous les faux écrans, pour nous amener, au grand jour, devant les obstacles derniers, devant l’adversité ultime ou première, que la plus grande lumière mêle encore à son éblouissement ». La parole du poète est rare. Celle de Philippe Jaccottet encore plus. Ajoutons qu’elle est souvent prise dans un sanglot étouffé, qu’elle avance à pas feutrés. Ces notes et observations entrent dans la catégorie des textes où la justesse (le poète est par nature discret) se dispute à une forme de nostalgie des anciens (Novalis, Hölderlin : ce qui est une manière de les rendre présents). Observons donc avec l’auteur : « La préférence que nous vouons, par exemple, aux philosophes présocratiques, a quelque chose de désespéré. Hommes au regard terni, nous désirons violemment ces yeux clairs ». Ou encore : « Il faut que la poésie n’ait pas plus d’intention et d’utilité qu’un parfum ». Ces paroles nous touchent. Nous voilà loin des bavardages habituels sur les mérites des poètes (à ce titre, ce qu’il dit de Saint John Perse -et de ses poèmes pleins de vacarme- ne nous paraît pas injustifié). Il n’est donc pas étonnant que notre homme ait abandonné très vite la forme classique -recopiée à l’envi par ses contemporains- pour la poésie fragmentaire, l’éclat. Pour lui, l’enjeu reste le même : la sauvegarde du sens.