Nous pensons tout savoir de la vie des grands hommes. Leurs mœurs, leurs sentiments, leurs petites misères, soit tout ce qui fait les délices des biographes, métier bien inutile au demeurant. Pour éviter ces travers de lecture, il faut un peu plus de caractère. Où alors raconter l’insupportable. Octave Mirbeau s’y employa dans La Mort de Balzac. Il écrivit bravement son histoire, inconscient des déboires à venir (la comtesse Mniszech s’étouffa en lisant ces pages sur sa mère, Mme Hanska, folâtrant avec le peintre Jean Gigoux alors que Balzac se mourait dans la chambre d’à côté). Il commente et s’exclame devant cet abandon, bien des années après les événements que le peintre lui rapporta.

Nous voilà en 1849. Le couple revient de Russie. L’orage gronde dès leur arrivée en terre de France : l’épisode tragique relaté ici du serviteur pris d’une crise de démence et mettant sans dessus dessous la maison qui devait les accueillir. Une année seulement de vie commune, passée en déménagements, meublée de vides, et, soyons juste, avec bris de vaisselle. Car entre l’idéal des années de correspondances, ne se voyant qu’à quatre reprises entre 1833 et 1848, et la vie conjugale, entre ces deux fortes têtes, le fossé est immense. La tête pleine de chimères, Mme de Balzac sentait, à la simple vue de son mari, grandir en elle le génie de la création. Quand lui notait que « le mariage est un véritable duel où pour triompher de son adversaire il faut une attention de tous les moments ». Relevons toutefois (un nouveau crédit apporté à cette œuvre inépuisable) que les mariages heureux ne sont pas monnaie courante dans La Comédie humaine. Pas plus que l’éloge des femmes adultères, activité fortement réprimée par un homme qui vit en celle qui fut sa femme (sorte d’OPA avant l’heure) la meilleure affaire à conclure de sa vie. Et si rien ne lui avait échappé de ses turpitudes, en ses ultimes instants, il eut l’élégance de se taire. Cette fois sans colère. Et définitivement.