Si on résumait Les Solitaires par : « Tout les opposait. Ils n’auraient jamais dû se rencontrer et pourtant le destin l’a fait », vous vous diriez que l’auteur a confondu la littérature et Hollywood. Cependant aucune erreur n’est envisageable, Mathieu Belezi est bien un écrivain et il nous offre avec Les Solitaires un roman dont le motif principal aurait pu ressembler à ce que les producteurs américains nous envoient de pire, mais qui, grâce à l’effet transcendant de l’écriture, réinvente un thème largement banalisé, voire ridiculisé par quelques mauvais faiseurs d’histoires.
La rencontre, certes, est le fil conducteur du roman, mais elle a du sens. Elle permet un aboutissement, elle révèle une certaine idée du monde : l’homme est perfectible. Ainsi les deux citations, mises en exergue, annoncent d’un point de vue formel la transformation qui s’opère chez les deux personnages. La première est de Schopenhauer ; elle engage l’individu à penser la société comme le lieu d’un gigantesque champ de bataille dans lequel les êtres ne « subsistent qu’en se dévorant les uns les autres ». La seconde, de Henri Michaux, apporte une nuance et envisage le bonheur comme étant possible : « Il reste du limpide en toi. En une seule vie tu n’as pas pu tout souiller. » C’est à cela que les deux personnages vont tenter de parvenir. Ils vont subir et admettre le premier constat pour finalement essayer de le dépasser, de sublimer leur condition.
La vie, pour Martial et Rachel, est au début du roman une lutte incessante pour la reconnaissance de leur existence. Ce sont des figures fantomatiques, des êtres dont la destinée n’intéresse personne. Martial est un petit malfrat qui devient, presque malgré lui, un tueur à gages. Rachel est une femme désœuvrée dont les journées sont réglées par l’attente de son amant, un homme politique aux ambitions mesquines et bourgeoises. Rien ne les relie au monde, ce sont d’éternels étrangers : l’un tue pour vivre, l’autre « se fuit ». Spectateurs de leur existence, ils déambulent dans les rues de Saint-Gabriel et observent ce qui leur paraît être une mascarade ininterrompue. Enfants blessés, trompés, leur rencontre sera alors une renaissance mais aussi une promesse de rédemption.
Toute la finesse de Mathieu Belezi est de nous mener sans précipitation à cette union quasi-spirituelle, en installant progressivement un cadre, une atmosphère, celle des villes méditerranéennes. On se dit à plusieurs reprises que l’auteur a sans doute lu Camus, car on retrouve dans Les Solitaires à la fois cette extase et cette angoisse face aux paysages du Sud. On ajoutera que les descriptions, comme dans L’Etranger, n’amènent aucune emphase, aucune surcharge lyrique, comme si l’auteur voulait restituer sincèrement ces voix, parfois ces cris de solitaires, afin qu’ils retrouvent leur identité.