Le principal intérêt de Chien jaune, le nouveau roman de Martin Amis (dont Gallimard publie également un recueil de textes critiques, Guerre au cliché), est peut-être qu’il a suscité l’une des plus célèbres chroniques littéraires anglaises de ces dernières années : dans un article du Telegraph, le romancier Tibor Fischer, qui publiait son propre (médiocre) roman (Voyage au bout de ma chambre) la même semaine, descendait Amis en flammes avec toute la verve dont il est capable. Après avoir rappelé entre autres choses qu’il a compté parmi les premiers admirateurs de l’écrivain, qu’il possède une édition originale du Dossier Rachel acquise en 1973, qu’il a personnellement assisté à une lecture devant six personnes à Cambridge en 1980 et qu’il a tout dévoré de lui depuis, il expliquait benoîtement qu’il a lu Chien jaune dans le métro et qu’il a trouvé ça tellement nul qu’il était « terrifié à l’idée que quelqu’un regarde par-dessus son épaule ». Cette critique, scandaleuse, drôle et très inélégante, a suscité un scandale et est immédiatement devenue une sorte de classique, dont la réputation a traversé la Manche bien avant le roman d’Amis lui-même.

Décousu et mené à cent à l’heure, celui-ci raconte trois histoires en parallèle : celle de Xan Meo, un acteur-romancier qui se retrouve à l’hôpital après s’être fait tabasser par des voyous ; celle de Clint Smoker, journaliste dans un tabloïd trash ; et celle d’Henry IX, roi d’Angleterre, confronté aux scandales scabreux ou sentimentaux dont la famille royale britannique est coutumière. On fait semblant de trouver ça drôle pendant 100 pages puis on se rend à l’évidence : Chien jaune est un navet brillant et mal fichu, une enfilade de dialogues incompréhensibles et de séquence SMS lourdaudes (Amis foire ici méthodiquement ce que Coe réussit admirablement dans ses romans : mélanger les niveaux de langage, utiliser ceux que lui fournit l’époque), une coquille vide et dépourvue de chair (les histoires sont sans intérêt, les personnages sans humanité) où l’auteur, plus vulgaire que jamais (« Ayant consommé à l’instant une grande quantité d’eau brunâtre au robinet, l’objectif immédiat de Xan était de vérifier s’il était capable d’enlever sa propre merde en pissant contre le fond de la cuvette en porcelaine »), tire sur tout ce qui bouge avec son habituel sourire de vilain premier de la classe. Ironiser sur la société du spectacle, les tabloïds et la royal family aurait sans doute été audacieux et drôle vers 1965. En 2005 ou 2007, ça l’est moins. C’est évidemment odieux et virtuose, comme toujours, mais la satire, outre qu’elle frappe trois fois dans l’eau, en reste à un stade indigne de la stature d’Amis : celui du ricanement.