En 2007, Gallimard publiait La Physique des catastrophes, thriller teen novel signé Marisha Pessl. Malgré quelques vraies maladresses, ce premier roman s’avérait aussi surprenant qu’ambitieux, et il donnait très envie de lire plus. Huit ans d’attente, et voilà Intérieur Nuit, également construit sur les codes du thriller, mais dans une version hyper cinématographique (le cadre l’exige : on suit un réalisateur mythique et mystérieux), nettement plus mature et envoûtante. Ce qui tenait en équilibre par miracle ou par artifice dans La Physique des catastrophes est ici maîtrisé, Pessl confirmant ce qu’on devinait : qu’elle a l’art et la manière de poser une ambiance. On la suit donc volontiers dans son enquête à travers les méandres d’esprits abîmés, et on termine désorienté, et étrangement incertain. Un sentiment plutôt agréable.

Tout commence par une rencontre fantomatique, aux petites heures du jour, dans un parc new-yorkais : le coureur et la fille en rouge. Ashley Cordova (fille du cultissime réalisateur Stanislas Cordova), est alors retrouvée morte, suicidée ; Scott McGrath (journaliste d’investigation sur le retour) remonte en selle et se lance dans une enquête jusqu’aux origines du mal. Car, « que cela vous plaise ou non, nous avons tous une histoire avec Cordova », le cinéaste maître de la terreur, « fissure, trou noir, danger indéterminé, irruption permanente de l’inconnu dans notre monde surexposé ».

Marisha Pessl étaye son récit avec des pages web, des articles de journaux, tapuscrits, photos en tous genres ; même si la démarche n’est pas originale, elle le fait très bien. On a l’impression d’y être. Ajoutez une galerie de personnages crédible, deux acolytes tranquillement dilettantes (Nora l’apprentie actrice, et Hopper, le dealeur), un mystérieux domaine dont l’ombre semble parfois recouvrir New-York (ville qui prend ici des allures crépusculaires, un peu à la manière, quoique très en deçà de la ville imaginée par Jonathan Lethem dans Chronic City)…

Intérieur Nuit est lancé, et difficile à lâcher. Pessl trouve une voix originale, transformant l’enquête en traque plus identitaire, plus profonde, usant d’artifices qui n’en sont presque plus tant les codes, assimilés,  font corps avec le texte. En chemin, elle joue à l’exploratrice : initiation à la magie, blanche, noire, grise, on ne sait plus vraiment ; un air de piano fredonné ;  des rites sataniques ; des plateaux de tournage désertés ; des décors plus vrais que nature. On peut jouer à chercher les cinéastes derrière les ombres qu’elle agite. Ou apprécier Cordova, maître d’œuvre, pour ce qu’il est : un beau personnage de fiction, élégamment mis en scène dans un roman qui a tout d’un jeu de poupées russes.

Traduit de l’anglais par Clément Baude.