Réalisatrice remarquée avec XXY (Grand Prix de la Semaine de la Critique, Cannes, 2007) et El nino Pez, un temps scénariste pour la télé argentine, Lucia Puenzo est également romancière. Dans La Malédiction de Jacinta, elle livre une variation acerbe autour du thème de la dissolution de l’individu, un récit sur la perte des illusions, la vacuité d’existences façonnées toutes entières par l’image.
A l’origine du récit, un fait divers : la découverte du corps sans vie de l’actrice qui dans les années 80 incarnait pour la télévision argentine Jacinta Pichimahuida, institutrice dans la série Senorita maestra, et le destin parfois tragique de plusieurs des jeunes acteurs à l’époque retenus pour figurer ses élèves. Si le triste devenir d’enfants star n’est certes pas une spécificité argentine, la réécriture de l’histoire par Lucia Puenzo est l’occasion d’aborder une réflexion sur les liens entre réel et fiction, anonymat et célébrité, en utilisant un angle singulier, interrogeant les arcanes de la création, le façonnement des identités.
Le nœud du récit se cache dans les méandres des pensées de Ricardo, dit Pepino, petit bègue, ancien figurant de la série, fasciné par son scénariste, Santa Cruz, l’Auteur omniprésent et omniscient qui a orienté son enfance, l’a extrait de la tyrannie maternelle, a réinventé chaque instant de son existence après avoir conclu avec lui un pacte quasi faustien, puis l’a abandonné, sans plus d’états d’âmes. « Nous ferons la suite dans quelques années. Ces enfants on déjà donné toute la lumière qu’ils avaient. Maintenant, ils vont donner leur ombre », disait le Maître, sans que Pepino ne l’ait jamais bien compris. Rendu au monde des anonymes, l’enfant a quitté les plateaux de tournage. A 30 ans, il est devenu statue vivante sur une place de Buenos Aires, sa mère l’a renié, et seul son père admire l’humilité qui le conduit, chaque jour, devant son public de passants. C’est quand il rencontre Twiggy, la géante schizophrène un peu droguée, un rien hystérique, que sa vie bascule, perd le semblant de mesure qu’il était parvenu à lui imposer au fil du temps. Les faits divers sordides s’enchaînent, les anciens de la série tombent les uns après les autres, et Pepino sombre dans une douce folie, persuadé d’avoir retrouvé l’œuvre du Maître, le Scénario écrit à l’avance qui guiderait ses pas et lui redonnerait la voix qu’il a perdue.
L’intrigue est prétexte à l’exploration des failles d’une société de l’image où tout se fait désordre, global ou intime, quand l’existence par procuration remplace l’émotion du vécu. La Malédiction de Jacinta serait alors ce lent mécanisme, conduisant à faire disparaître une à une les figures, d’abord des écrans, puis des mémoires, avant que la mort survienne, seule à même de les faire renaître, aux yeux d’un public passif, gourmand, volatile : « C’était la première fois depuis des années qu’il ne se sentait plus seul. Ils faisaient partie de l’enfance de milliers d’adultes, comme les membres lointains de la famille qu’on garde, immortalisés, dans les albums de photo ».