Pourquoi deux L ? Laurent Kloetzer fait des mystères, et assure seul la promotion du livre. « Laure », sa femme, aurait coécrit CLEER. Dont acte, on ne dira pas qu’il s’agit pas du cinquième livre de l’auteur, jusque là habitué au domaine fantasy. Et même si ce petit dernier est sous-titré « une fantaisie corporate », on se gardera bien de le catégoriser, tant il fait figure d’ovni. Qu’est-ce que Cleer ? Une marque, ou une sur-marque, un méta-label apposé à un ensemble de produits capitalistiquement corrects. C’est aussi, selon ses dires, l’employeur de Kloetzer, psychologue du travail de formation.

Le roman nous plonge donc dans un capitalisme triomphant, dont il fait à la fois la description, l’éloge et la satire. La société éponyme ne produit rien, mais elle communique, contrôle l’information, et derrière son slogan bateau (« Be yourself »), apparaît comme une transnationale idéale, impliquée sur tous les marchés. Sa raison d’être : entretenir l’image d’un monde des affaires propre, transparent, et respectueux de l’humain. Son but : résoudre les conflits, huiler la machine, libérer les flux. Sa méthode : faire appel à la Cohésion Interne, dont Charlotte Audiberti et Vinh Tran sont les nouvelles recrues. Ces super-cadres ont été initiés aux dernières méthodes de communication, qui confinent aux pouvoirs psi (compréhension non-vocale, manipulation…), afin de protéger l’image du Groupe du disfonctionnement de ses filiales (vague de suicides, effondrement de la production, menace écologique…). « CLEER » ne doit être qu’un parfait halo de lumière blanche, une idée corrélée à la maitrise et la sérénité, à l’image de la tour transparente qui lui sert de siège, et dont le sommet se confond avec le vide céleste.

Dans une mystique du capitalisme qui rappelle parfois Baudrillard, CLEER joue sur l’ambiguïté, la fascination que peuvent procurer les méga-empires transnationaux, au rayonnement virtuellement infini. Un système économique fait de dialogue, de compassion, de suréminence de l’humain, un capitalisme propre procédant par empathie… C’est un peu, si l’on veut, « Bill Gates chez les Bisounours ». Le ton est sec, ciselé, entre polar et rapport de stage, avec un soupçon de langage publicitaire – ce langage de la promotion des valeurs individuelles déguisées en slogans humanistes. Sidération et malaise garantis.