Nouvellement paru chez Christian Bourgeois Editeur, ce recueil de nouvelles est une agréable bouffée de romanesque. Ecriture élégante, sens de la formule, Linda Lê apparaît comme un écrivain confirmé. Autres jeux avec le feu, dixième parution de l’auteur, est une incursion dans le fantastique qui n’est pas sans rappeler Poe dans sa façon d’éclairer le monde des spectres ou Kafka, quand il met en scène la métamorphose d’une réalité qui verse dans le paranormal.

Chez Linda Lê, ce sont les objets du quotidien qui semblent acquérir une volonté propre ou les évènements qui laissent la place à l’imprévu fantastique. Le décalage ironique n’est plus compris dans le discours mais dans les faits. Le bizarre fait irruption dans de petits mondes clos, autonomes, qui sont incarnés dans autant de consciences. La part du doute entre en jeu dans le fonctionnement de ces récits aux frontières du réel et les témoignages des victimes sont toujours potentiellement le fruit de leur délire.

Cette écriture par le biais de personnages écrivains met en scène l’intériorité jusqu’à confiner à un certain solipsisme. La solitude n’est plus seulement la conséquence d’une rupture de la communication mais plutôt la marque de l’entrée en scène d’une troisième donnée : l’événement étrange. Comment exprimer cette expérience du bizarre sans susciter la méfiance ? Cette question devient le leitmotiv de l’écrivant, dans le texte, et de l’écrivain, en général. Certes, il ne s’agit pas de faire passer des vessies pour des lanternes, mais l’éclairage fantastique fait écho à la création arbitraire d’un monde romanesque ou simplement à l’angoisse de l’écrivain à l’œuvre et qui voit voltiger ses idées comme des spectres.

Ce rapport effrayant et mystérieux au réel rappelle le gothique aux balbutiements du romantisme. Paradoxalement, l’écriture poétique de Linda Lê ne contribue pas à une prise de distance et le second degré est mis au banc du livre au profit d’une identité entre le dit et le vécu ; l’efficacité en dépend. Cette simplicité recherchée se double d’une volonté d’expliciter la psychologie des personnages. Ils se livrent alors à un récit d’introspection qui, à la fois dans le dispositif du récit de soi et dans l’analyse des données de la conscience, use, peut-être un peu trop facilement, des ficelles de la psychanalyse. Le caractère parfois border-line des auteurs de ces confessions qui s’objectivent littéralement dans la parole est souvent à mettre au compte de leurs relations difficiles avec leur proches. L’origine est ainsi, pour Linda Lê, une notion clef dans l’approche du personnage. Les relations à la mère font écho à celles de la Mère Patrie, le Vietnam, et ce vis-à-vis, certes conventionnel, n’est cependant pas dénué de perspicacité.

Enfin une écriture d’auteur qui n’a que faire des modes. Autres jeux avec le feu, s’inscrit dans la continuité d’une tradition littéraire fantastique déjà fournie, et si l’originalité n’est pas toujours au rendez-vous, il faut cependant reconnaître que l’écriture classique et le sens du rythme dramatique font mouche.